Ciel ! Richard III n’est pas de gauche !
Une rumeur circule :
…une taupe aurait infiltré le lumpenprolétariat liégeois !
– Alors, coco, il paraît que t’es pas de gauche ! – …qu’est-ce que c’est encore que cette connerie ? – Se prendre pour Richard III tout de même !... – Là, je t’avoue que dénommer son blog Richard III (1), un type contrefait dont les ossements ont été retrouvés en septembre 2012 sous un parking à Leicester et qui est mort percé de neuf blessures à la bataille de Bosworth en 1485, faut être un peu cinglé. – C’est pas de gauche ça… un peu comme disaient les bien pensants en 1900, c’est pas chrétien ! – J’aurais dû appeler ça comment ? – Marx II par exemple, là y aurait pas eu photo, t’aurais scié tout le monde ! – D’abord qu’est ce que c’est pour une manie de distribuer des bons points « t’es de gauche, mon pote, félicitation, mais l’autre l’est pas. Pourquoi ? Sais pas, j’le sens ! ». – Choisir un roi tout de même ! – Justement, parlons-en. Sais-tu pourquoi il y a plus de quinze ans l’idée m’est venue d’appeler une chronique - qu’on la baptise de gauche ou de droite, je m’en fous - Richard III ? On est en Angleterre, fin du moyen-âge, deux classes face à face, celle des nobles et celle des manants, comme il y a deux histoires d’Angleterre, celle qui a voulu accréditer Thomas Morus (2), rapportée par Shakespeare et complaisante à Henri VIII et l’autre, plus ambigüe, moins catégorique, la vraie, qui fait de Richard III un infirme repoussé par tout le monde et qui se voit roi pendant deux ans, amené à régner par les circonstances. – C’était quand même pas un homme de gauche ! – Encore une fois, la droite, la gauche, c’est une invention récente. Mais ce qu’elle a de moderne l’Histoire en cette période, nous découvre presque ce que nous sommes. Il n’y a pratiquement plus que deux classes sociales en Europe. C’est l’Europe du dessus contre l’Europe du dessous, exactement comme du temps de Richard III. – Qu’est-ce qui change dans ton cas de savoir si t’es de gauche ou de droite ? – Tiens, j’aimerais que les gens de droite le soient comme moi. Le MR n’existerait plus depuis longtemps et le trio les Michel et Reynders seraient en taule en attendant de répondre à un procès de mauvaise gestion des fonds publics.
– Ramène-nous à Richard III. – Ce mec a foutu la merde en son temps parmi les gens du dessus. C’était pas Cromwell, mais en deux ans il a réussi à baiser tous les York au profit des Tudor. Pour un peu, il baisait aussi les Tudor, car les manants se marraient fort en voyant les gras seigneurs se pourfendre pour des terres et des châteaux, comme aujourd’hui on voit Trump se battre au nom de l’Amérique, mais pour sauver son pognon contre l’intelligentsia new-yorkaise qui a une autre façon de se faire du blé, en plus cool. – En quoi c’est de gauche ? – Mais en rien. Sauf qu’on fait partie d’une classe sociale, quelque soit l’image que l’on en ait. Même si j’avais des idées de droite, je n’en serais pas moins de gauche par le fait que mes intérêts sont de classe. – Alors, ceux du peuple qui portent aux nues les libéraux et tout leur cirque sont des cons – En quelque sorte, puisqu’ils prêchent pour des intérêts qui ne sont pas les leurs. – C’est comme si tu disais qu’un chômeur militerait en faveur de l’augmentation des traitements des ministres, alors qu’on s’apprête à diminuer ses indemnités ? – C’est un peu ça. Remarque que les partis de pouvoir, le PS compris luttent farouchement pour effacer des faits, la persistance des classes sociales, ainsi ils éliminent le problème des luttes d’intérêt entre elles. – De sorte que la droite qui devrait tout au plus avoir 10 % des électeurs est majoritaire en ce moment. – Voilà, t’as tout compris. – Note que t’es suspect ! Des camarades ne te trouvent pas clair. – On en revient au tout début, qu’est-ce qu’être de gauche ? Selon le point de vue de Di Rupo, je ne suis pas de gauche, c’est clair. Je suis un mec aux idées inintéressantes parce qu’excessives. Ils ont seuls le pouvoir d’être excessifs en taxant, par exemple, exagérément les pauvres, mais celui qui le leur fait remarquer, pour eux, il est excessif. Eh bien ! soit, je suis excessif… et alors ? – Tu prends à la légère des choses sérieuses, tu t’es moqué de Marx, tu ne crois pas trop à la démocratie, à la possibilité de réformer le système de l’intérieur, tu te situes en-dehors, c’est-à-dire nulle part.
– Faudrait savoir, est-ce qu’on débat encore dans ce pays à l’intérieur des partis ? Est-ce que la gauche ne montre pas l’exemple, si l’on excepte le PS qui n’est plus de gauche, d’une confrontation des points de vue ? Il n’y a qu’une certitude pour nous autres de la classe d’en-dessous, c’est que ce système est mauvais et qu’il faut trouver les moyens de le flanquer par terre. Le reste n’est que littérature. – Et quid des gens qui trouvent que tu n’es pas des leurs ? – C’est leur droit de penser de la sorte. Tant qu’ils me laissent expliquer les choses à ma manière, je ne peux pas m’empêcher de croire que je suis solidaire d’eux, même si eux ne veulent pas se sentir solidaires de moi. – T’es celui qui croit détenir la vérité contre tout le monde, alors, une sorte de génie méconnu ? – Je m’en fous que l’on puisse me juger ainsi. J’écris ce que je pense. Je pourrais même le dire aussi, si j’avais une tribune. Mais qui voudrait m’y voir ? – C’est ça l’excès… – Merde, je suis comme Flaubert, je ne connais qu’une façon de protester, c’est l’émeute. – Nous y voilà, ne t’étonne pas qu’on ne puisse pas te piffer chez certains militants orthodoxes. – D’accord, quant à dire que je ne suis pas de gauche… – Aha ! ça te reste sur le cigare… – Seulement que celui qui a dit cela me concernant, lui ne l’est certainement pas.
---
1. Histoire d’Angleterre, des origines à nos jours, Philippe Chassaigne, éd. Champs Flammarion.
2. Thomas Morus (More) « La pitoyable vie du roi Edouard V & les cruautés horribles du Roi Richard III, éd. « À l’enseigne du pot cassé » Paris.