La controverse des Invalides.
Après l’hommage national de la France au chanteur Charles Aznavour et le précédent de Johnny Hallyday aux Invalide à Paris, en marge de leur popularité, de leur talent et du rôle qu’ils ont joué dans l’imaginaire non seulement des Français, mais encore des francophones et même au-delà, une question, pas si anodine que cela, brouille les pistes du « spectacle » des hommages : celle de la consécration de deux gros fraudeurs invétérés des contributions.
Il y a ainsi comme un ange qui passe en entendant le président Macron célébrer le caractère festif des deux professionnels de la chanson dans des cérémonies d’hommage où la célébrité et le people jouent autant pour la fascination des foules, qu’une autre notoriété acquise à travers une carrière bien remplie par des millions d’album vendus, celle de l’argent.
Ce n’est pas anodin qu’outre le couplet du « grand français », il s’est quand même trouvé des agents du fisc et des journalistes qui conviennent que des sociétés au Luxembourg, des avoirs en Suisse d’Aznavour, comme des velléités de Johnny d’habiter aux USA, puis de prétendre un retour à la Belgique, non par amour pour le père qui était Belge, mais pour la facilité légendaire de la Belgique à fermer les yeux sur les possédants de gros avoirs, que tout cela enfin rejoint ce goût du riche pour la fraude et cette faculté d’oubli du pouvoir libéral pour le fraudeur fortuné.
Car il faut reconnaître qu’un petit fraudeur ordinaire n’aura droit qu’à l’huissier et à la saisie éventuelle des biens, avec mise à la rue séance tenante, condamnation parfois judiciaire et misère noire.
Les artistes qui ont réussi et qui vivent largement de leur art sont peu nombreux. Les autres parfois de grand talent, on dit même, certains supérieurs à ceux que la réussite financière a consacrés, vivent et meurent dans la misère complète, poursuivis, tracassés, harcelés par les happe-chair du fisc. Mais ceux qui sont honorés et qui reçoivent les honneurs de la République, pourquoi échappent-ils si facilement aux rigueurs de la loi ?
Dans la quête continuelle du pouvoir à trouver des ressources afin de combler les déficits, dans l’inventivité des ministres à pondre des lois afin de vider les poches même des plus pauvres, il devrait pourtant exister une sorte de désir de rendre justice au peuple qui veut voir taxer les plus riches aussi.
Pourquoi le pouvoir ne le fait-il pas ?
Parce qu’un artiste qui a fait fortune entre par la grande porte dans ces privilégiés qui font la République et avec ce double avantage qu’il est à la fois un exemple pour la classe sociale qu’il rejoint et une publicité vivante pour celle-ci par sa popularité auprès des plus humbles.
De fait, toutes les manœuvres illégales pour conserver le plus possible des gains, l’artiste donne au contraire une dimension que le chef d’État reconnaît et admire secrètement.
Quand on y réfléchit bien, et ici le talent de l’artiste n’est pas en cause, ce Régime par ailleurs impitoyable pour les petites gens, ose ostensiblement afficher qu’un riche n’est pas un citoyen ordinaire, mais qu’il est bien au-dessus des lois, au point de lui conférer la Légion d’honneur quasi automatiquement à partir d’un certain chiffre d’albums vendus.
Et qui le dit ?
Les plus hautes autorités, celles qui le jour suivant, prendront des mesures pour raboter un peu plus les pensions des retraités, limeront au maximum la contribution collective à la survie du chômeur, ne prendront pas en compte les surmenages des infirmières des urgences et trouveront que les allocations pour les handicapés sont beaucoup trop élevées, comme ils ne cessent de dire « qu’on ne sait pas comment dans dix ou vingt ans on paiera les pensions ».
Ce double langage est troublant et il se fait à l’occasion d’un événement dont on respecte l’objet principal, un mort. C‘est-à-dire quelqu’un dont on ne peut dire que du bien et pour lequel il serait malséant de placer des scories dans les déferlements d’hommages.
Le pouvoir compte bien là-dessus pour s’éviter des remarques comme la mienne.
Nous vivons décidément une époque bien curieuse : celle de l’âge d’or d’une société de l’argent qui se montre et qu’on applaudit, quand elle consacre un artiste et achète son œuvre, laissant à celui qu’elle adoube le soin de faire aussi des placements juteux.
Une époque fameuse où un président de la République fait l’éloge d’une fortune en même temps que d’un talent.
Et je me demande si ce grand talent qui s’en va avait été celui d’un homme pauvre, comment aurait été la semaine après son décès ? Une veuve accablée de dettes, un entrepreneur des pompes funèbres avec ses factures, des tracasseries administratives et des chicaneries entre les héritiers, pour un fauteuil et l’alliance enlevée à la dernière minute de l’annulaire du défunt.
Enfin et surtout pas, l’hommage de la Nation dans la grande cour des Invalides.
Commentaires
Excellente chronique..
Postée le: Gaston Reiter | octobre 6, 2018 08:26 AM