TINA
Les citoyens ne le savent pas assez, ce pays est administré par de hauts fonctionnaires. Certains gagnent plus que des ministres. Issus de trois ou quatre universités, ils partagent, l’œil rivé sur les USA, l’« idéal » commun d’une démocratie à l’économie orthodoxe.
Tandis que les ministres découvrent combien ils sont beaux et intelligents, l’administration poursuit son travail, le même depuis toujours, sous quelque couleur que ce soit.
La discrimination à l’embauche au plus haut échelon de l’État, sur la foi d’un diplôme, réduit l’Administration à un camaïeu allant du bleu au rose, donnant aux législatures une conformité bienséante et conservatrice. Afin de se pérenniser, le système s’est doté du noir profond de la N-VA donnant au camaïeu propre à Charles Michel, une couleur bleue nuit au MR.
Autrement dit, cette démocratie est en réalité une chambre d’enregistrement de la droite, excluant l’électeur de gauche de toute décision importante.
Le philosophe Paul Ricœur l’avait dénoncé dans la préface d’un livre "Le danger, aujourd'hui, est que la direction des affaires soit accaparée par des oligarchies de compétents, associées aux puissances d'argent", La Presse, le Pouvoir et l'Argent (Seuil, réédition 2018).
Même posée au niveau des élections communales, les « oligarchies de compétents », associées aux puissances d'argent, ne sont pas sans conséquence.
Le diplôme ad’hoc ne l’est pas pour certaines catégories de citoyens : les avocats et les pistonnés. Le zèle pour la continuité d’un État libéral ne s’en trouve pas gêné, la compétition n’est qu’entre les personnes, puisque les idées à ce niveau se ressemblent toutes.
Le diplôme ne fait rien à l’affaire. Il sert tout au plus à écarter la demande trop nombreuse à l’offre plutôt restrictive. La certitude d’entreprendre « entre nous » reste intacte.
C’est d’ailleurs le système partout pour les apprentissages de haute volée, alors que l’électricien et le plombier-zingueur « bas de gamme » n’ont qu’à se débattre dans le foisonnement des candidatures.
La démocratie se prive ainsi d’une multitude de compétences hors circuit, d’intelligences non assimilables aux formations proposées et condamnées aux petits boulots et au chômage.
Alors qu’en principe tous les citoyens capables de raisonnement devraient accéder aux hautes fonctions, la sélection commence dès l’affiliation à un parti, sur une mise en conformité par d’autres fonctionnaires attachés à la présidence.
Un véritable double hold-up sur le pouvoir se perpètre auquel l’électeur assiste impuissant. Les élus et la haute administration envahissant les cabinets se conjuguent finalement dès la présentation du nouveau gouvernement pour une stabilité politique essentiellement conservatrice.
Au niveau des communes le trip est plus diffus mais néanmoins identique, les quelques initiatives sortant du cadre seront finalement étouffées par les bourgmestres et échevins ou par des échelons supérieurs remontant parfois jusqu’au premier ministre.
Quelques petites communes emportées par des majorités hors contrôle, menacées de marginalité, ne résistent pas aux fourches caudines des Provinces, elles rentrent tôt ou tard dans le rang sous la risée des gazettes.
Les privatisations viennent directement d’un courant majoritaire tout parti confondu, qui s’autoproclame de « bon sens ». Le libéralisme y fait son beurre, suivant la formule de Benjamin Constant « Servons la bonne cause », qui se plaça aussitôt au service de Napoléon.
Voilà pourquoi en Belgique, mais aussi dans d’autres démocraties, on passe aisément d’administrateur des réseaux de l’État dans des entreprises privées et vice versa. Les fonctionnaires ayant goûté au pouvoir savent que le monde de l’argent à d’autres charmes.
Les privatisations sont dictées par des ambitions personnelles secrètes et des pots-de-vin déguisés. C’est sous le prétexte cent fois démentis de l’efficacité, que des pans entiers des entreprises publiques disparaissent. Outre la performance qui reste à démontrer, l’intérêt secret du pouvoir du-dessus est toujours la disparition des fonctionnaires d’en-dessous, aussitôt mis au pas ou licenciés dans le privé.
La réalité commanderait de réfléchir au rôle destructeur de la politique de marché, de l’abandonner, non pas dans l’immédiat, mais après réflexion et progressivement.
Les forces vives réelles ne sont pas chez les batteurs d’estrade de la Belgique officielle, mais parmi les gens conscients du problème face au refus d’y réfléchir du monde libéral. Ils nous disent, comme s’ils parlaient à des enfants : c’est impossible "There is no alternative" (TINA), ou si l'on préfère "il n'y a qu'une seule politique économique possible", une politique soi-disant réaliste, ni de gauche, ni de droite, mais qui est en fait très exactement celle des cercles dominants de la finance.