L’extrémisme des modérés !
Il fut un temps, ô pas très lointain, aux trois-quarts du siècle dernier, les socialistes avaient certainement raison de jouer centriste, vu que c’était ce qu’on sentait venir depuis Henri Ford et le taylorisme. Le plaisir était vendu pour tous et pourquoi pas aux producteurs.
Seulement il y avait une petite condition, que les smiley censés jouir de consommer, jouissent de travailler ! Ce n’était pas suffisant d’aller au boulot régulièrement, il fallait qu’ils y aillent d’enthousiasme ! Réarmés moralement qu’ils étaient.
Et c’est là que ça commence à coincer.
Mais on comprend pourquoi aujourd’hui alors que le siècle aligne déjà dix-neuf unités et qu’on en revient aux travailleurs pauvres, comme avant 36 !
Prendre le boulot à cœur, comme si ce qu’on fait on en avait toujours rêvé depuis l’enfance, cadence, contremaître et prestation du dimanche comprise, se résume à se jeter derrière le carrosse embourbé par les crises et les égoïsmes, en nous écriant « patron nous voilà » comme Guétary en 40 chantait « Maréchal nous voilà » à une momie en képi…
On nous aurait voulu dans la boue jusqu’aux genoux à sortir la patache du bourbier !
Parce que brinqueballant, cacochyme, branlant du manche, les successeurs de dear Henri ont vachement besoin qu’on morde encore dans leurs salades, pour qu’une économie aussi mal fichue enthousiasme toujours les foules !
Or, ça ne se passe pas ainsi. Le peuple veut bien se dévouer pour le progrès, même sans avoir des affinités pour le système qui l’emploie. Il ne veut pas faire un pas quand il s’agit de partir à reculons des salaires et pourquoi pas, jusqu’à la tranche de pain sans rien dessus.
Les socialistes ne s’attendaient pas à ça. Avec leur centrisme et l’embourgeoisement des leurs, ils se sont fichu le doigt dans l’œil.
S’épanouir dans la start-up et s’éclater dans les séminaires, cohésion parfaite de la dame pipi au super-director, se manipuler le chtibe en rêve, rien qu’en rewritant de mémoire la dernière conférence de Zuckerberg, l’Épinal-story n’est plus du tout pensable en 2019.
Pas étonnant que l’on voie surgir de Mon-Mons, un Elio Di Rupo, l’œil émerillonné sur ses nouvelles propositions électorales : performances proposées, salaires, pensions, sécurité sociale, en excluant de son homélie les réformes en profondeur de l’économie de marché, dont il est toujours l’adversaire acharné.
En cas de désaccord, un bon centriste trouve toujours des compromis, dit le Savonarole montois.
C’est qu’ils sont plus que jamais centristes, les dirigeants du PS, de complexion commerçante, Henri Ford dans le sang. Di Rupo socialiste à la Blair, à la Schröder, son « humanisme », seulement « centriste » ne se dit pas. Il ne veut pas laisser la gauche à n’importe qui, alors officiellement il se baptise modéré de gauche, sous-entendant par là que le reste de la gauche, n’étant pas modérée, est inapte à la mesure, à gouverner, à exister même !
De la à accepter le compromis centriste futur et ce dès juin, à savoir la reconduction de toute alliance, laissant les excès et le populisme dans la fosse des oppositions, c’est la logique même. Ces centristes-progressistes vont se retrouver dans l’enthousiasme d’avant-crise, mais avec les salaires et les conditions de travail, contre lesquels les gilets Jaunes sont dans la rue tous les samedis en France !
Le monde imaginaire de Di Rupo est celui de Talleyrand « ce qui est excessif est insignifiant » reniant ainsi son maître Napoléon, comme Di Rupo reniant le sien : le Peuple !
Ah ! comme cette vieille baudruche maquillée pour les nouvelles de la télé aurait aimé que le peuple restât insignifiant, sans être excessif !
Est-ce qu’on ne pourrait pas appeler « nuancée », notre gauche « modérée » dit le bureau du PS ? C’est mieux définir le PS que modéré ou centriste. La nuance est le propre d’une pensée qui a horreur de se convertir en actes, toujours dans la peur de sombrer dans l’insignifiance.
Pourtant à part le domaine de l’économie dans lequel le PS n’entre qu’à pas comptés, comme dans une église, le parti n’est pas souvent dans la nuance. Ne serait-ce que par son refus des extrêmes, au point de choisir la promiscuité du centrisme libéral, plutôt que l’extrémisme de situation du chômeur, de la caissière et du magasinier !
Mais tout bascule dans la physique de l’économie. Les nouveaux totalitaristes se révèlent être du centre. Ils veulent remplacer la sidération d’entrer dans le monde d’Henri Ford, par le « plaisir » d’y construire l’avenir sur les débris du présent ! La conjonction du néolibéralisme et l'avènement des multinationales, qui coïncide avec le recul des Etats, est en partie l’œuvre du socialisme modéré.
Le philosophe québécois Alain Deneault a très bien résumé la situation du PS « En voulant supprimer l'axe gauche-droite pour se présenter comme la seule parole possible, l'extrême-centre a donné l'émergence d'une polarité entre un Etat violent et brutal et des populations qui lui résistent."
Le discours des duettistes Charles Michel et Elio Di Rupo « plus de revenus pour les multinationale et de dividendes pour les actionnaires, moins de fond pour les services publics et pour les travailleurs » est celui des années 40, le « Maréchal nous voilà » d’un Guétary collabo. C’est l’extrémisme des abîmes, celui d’un centre fanatisé.