MR populiste ? Non, siphoniste !
Les algorithmes, l’ambiance Silicon Valley, le goût des techniques, c’est l’air du temps dont se nourrissent les connaissances. Ne pas s’emparer de cette modernité en valeur absolue est la sagesse même. Par contre, cet objet de curiosité intellectuelle peut attirer l’attention sur certaine pratique des mots à des fins partisanes.
Le nombre d’articles comportant le mot « populisme » est passé de 486 en 2015 à 1.254 en 2018. Cette inflation trahit l’inquiétude des classes dominantes dont on sait qu’elles ont le quasi-monopole de son usage. En Belgique, le MR s’est fait une spécialité de la chose, taxant de populisme tout ce qui passe la couture du pantalon de Charles Michel.
La dernière assemblée, acclamant le successeur de Chastel préemptant la présidence, résonnait de la grosse caisse à chaque « populisme » prononcé.
Faut-il y voir, outre l’entérite que ce mot provoque dans la bien-pensante bourgeoisie, la détermination populaire d’une contestation de la démocratie représentative !
Ce qui sort du terreau des villes et des campagnes de ce rejet ne serait-il pas le mouvement des Gilets Jaunes ?
Ce qui expliquerait l’animosité des médias à son égard et la furia dans la répression illustrée par Castaner en France, ce gigolo reconverti mercenaire de la bourgeoisie ?
Au même moment, le néolibéralisme touche la clientèle traditionnelle du MR dans ces petits commerçants et artisans, par la multiplication des faillites, les remises sans repreneur de ces artisans, devenus ensuite, par nécessité, gérants de leurs propres installations pour le compte d’une multinationale!
À tout ce fonds de voix du MR, disputé par le PS devenu bourgeois à son tour, tous deux décimés par les propres principes du capitalisme, il fallait désigner un ennemi, afin de détourner l’attention des militants, sur la phase ultime du système.
La dénonciation du populisme sera la bouée de sauvetage, un justificatif en prévision des naufrages à venir (1).
La crise de 2008, réputée avoir été surmontée par l’élite, a profondément détruit la confiance des classes populaires dans la démocratie. Elles l’ont vue « arrangée » par les dirigeants et par eux confisquée.
La suite conforte les vraies conséquences de 2008 : le Brexit, l’élection de Donald Trump en 2016, l’effondrement des partis de pouvoir en France et peut-être en Belgique bientôt, les progrès électoraux des conservateurs d’Europe centrale.
Au social-libéralisme, roue de rechange du capitalisme, s’opposent plusieurs contre-modèles paradoxaux et contradictoires : le populisme libéral sur le plan économique et conservateur sur le social, à la fois autoritaire et « plus proche du peuple », allez comprendre ? Et le populisme d’initiative « populaire », dans le fond le seul légitime puisqu’il s’ordonne autour des avis du peuple, comme la France Insoumise et le PTB en Belgique.
La gauche prend donc sa part légitimement du populisme et sans avoir peur du mot.
Elle espère convaincre de l’authenticité de sa contestation du libéralisme économique, en prônant les vraies valeurs de liberté.
L’autre populisme, celui que la droite ne combat pas tellement, sinon quand il lui prend des sièges, par exemple la mésaventure du gouvernement régional wallon de Borsus si l’on considère la Liste Destexhe comme un populisme de droite, celui-là est autoritaire et s’appuie sur une diversité d’origines diverses d’ouvriers victimes des délocalisations, d’employés remerciés, de classes moyennes anéanties par ricochet de l’austérité imposée au peuple, comme en Hongrie et en Italie.
Ce populisme de droite détourne en réalité la colère populaire de la contestation du libéralisme économique, comme sait si bien le faire Marine Le Pen. L’élite urbaine y joue aussi son rôle, Viktor Orbán et Bart De Wever ont, à bien des égards, des traits communs.
À force de subir l’expérience du décalage entre le discours du capitalisme ouvrant à tous l’aisance, voire la fortune et la réalité confondante des bas salaires et du retour en arrière à la pauvreté des corons, le rejet de la démocratie prônée par le monde libéral ne pourra qu’aller s’accentuant, jusqu’à des bouleversements dont les dirigeants actuels n’ont pas idée.
Jusqu’au jour où combattre le populisme ne sera même plus un marqueur social de l’intelligentsia, mais une forme aboutie de crétinisme de celle-ci.
Le Financial Times a raison « le capitalisme doit changer ».
Il en va du fric comme de la température du globe. On sait bien qu’on va dans le mur, mais personne ne fait ce qu’il faut pour ne pas y aller.
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1. À Liège, la fermeture d’un ensemble de cafés place de la République française est l’illustration du désert des centres-villes. À cette vision s’ajoute l’angoisse du lendemain du personnel des grands magasins, dont la dernière péripétie est le licenciement d’une partie du personnel de la FNAC.