Un fil à la patte !
On ne ressent les inégalités que lorsqu’elles sont perceptibles. Or, notre époque est au numérique, informations et images informatives, si bien que tout un chacun n’a jamais été aussi informé des inégalités dont il pourrait être victime. Encore convient-il de distinguer les inégalités produites par les systèmes économique et politique, de celle inhérente à la nature humaine.
Les sociétés contemporaines ont codifié la solidarité qui sous l’Ancien Régime se confondait avec la charité. On constate que les progrès de la mondialisation de l’économie correspondent à une baisse de la solidarité, faisant ressortir davantage les inégalités. Ce droit naturel de ne laisser personne au bord de la route serait aujourd’hui en perte de légitimité.
Pourquoi le consensus autour de l’intégration sociale s’érode-t-il ?
Les principes de croissance et de concurrence, joints au concept libéral de créer chez le chômeur une précarité de plus en plus grande, à seule fin de le pousser à accepter l’inacceptable, ont conduit à réduire les aides des populations victimes d’inégalités. Le spectre accru de la misère qui s’ensuit à la perte d’un emploi, influence les revendications et les salaires à la baisse.
La crise des solidarités s’expliquerait par un déclin du désir d’égalité, exprimé par MM. Les libéraux, en conformité avec le développement de la mondialisation de l’économie.
À remarquer que ceux qui militent pour la disparition de la solidarité sont parmi les libéraux qui profitent le plus des inégalités.
On en arrive au paroxysme anti solidaire libéral : l’exclusion.
Nos sociétés conduites par une oligarchie d’intérêts privés sont clairement définies par un choix inégalitaire.
C’est surtout dans les rémunérations et les avantages qu’il faut situer la démarche libérale. Sans visiter le domaine privé où apparaît le sacro saint droit à la propriété, lors même que les avantages et les biens accumulés ne le peuvent être du travail d’un seul homme, l’aménagement de la représentation politique situe très au-dessus de l’électeur, celui qui le représente.
Cette inégalité de base est le vice principal de nos démocraties. Elle suggère que la fonction politique est passée d’altruiste à intéressée.
Cela n’est pas dû seulement à la rapacité des milieux libéraux, mais encore à un désintérêt croissant des groupes sociaux pour la solidarité. La culpabilisation des populations pauvres fait le reste.
À l’avenant, on notera dans ce courant la panique morale d’une grande partie des classes moyennes en proie à la peur du déclassement et du déclin des promesses de l’école comme institution naturelle contre les inégalités.
Incapable de corriger les inégalités, l’école se transforme en un espace de compétition dont l’usage est monopolisé par les familles à fort capital culturel. Les familles de la classe « inférieure » seraient marginalisées au sein de l’institution, et n’apparaîtraient au monde libéral, qu’à travers l’absentéisme, le décrochage scolaire, etc... Ces familles semblent devenues responsables de leur propre malheur !
On peut situer cette perte de solidarité progressive à la fin des années 70, lorsque le PS rejoint définitivement le monde libéral dans ses structures, sa politique et son économie.
Déjà fortement ébranlé par la guerre froide, le PS vit alors une mutation amorcée bien longtemps avant, quand le parti communiste encore existant le menaçait sur sa gauche.
C’est le déclin des grands idéaux nationaux issus de la Résistance à la Libération.
Ayant perdu la redistribution symbolique des richesses, condition nécessaire au sentiment d’un devenir collectif, le PS produisit un « malaise dans la solidarité » qui ne s’est pas démenti depuis. Le résultat éclaire un singulier rapprochement avec la droite qui se manifeste par défiance croissante contre les étrangers. Enfin, rejoignant Louis Michel, on a été surpris d’entendre Elio Di Rupo se prononcer contre l’impôt et les mécanismes de redistribution, oubliant de préciser que le seul vraiment calamiteux impôt pour le peuple reste la TVA.
Avec les libéraux, le PS est en passe de transformer définitivement le rôle de l’État. Du vivre ensemble, le PS se concentre sur la promotion des individus, la capacité de chacun de « se réaliser ». L’État aurait désormais pour mission d’améliorer l’employabilité des gens, d’encourager la mobilité sociale. Se profile ainsi un monde où toutes les inégalités seraient légitimées par le seul mérite.
Les apories de pareil avenir sautent aux yeux : les politiques publiques seraient sans durée, sans cohérence, sans épaisseur. Elles se résumeraient à un flux de dispositifs et de réformes dont les résultats demeureraient confidentiels. Elles marqueraient surtout la fin des prérogatives traditionnelles dévolues à l’État, l’intégration et la lutte contre la misère sociale.