L’art de dire et l’art d’aimer.
Loin de moi l’idée d’encombrer d’un seul nuage, l’hommage national rendu à Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello aux Invalides.
Un homme qui en sauve un autre en y perdant la vie, fût-il militaire en service commandé ou sautant d’un pont pour secourir quelqu’un qui se noie est estimable et brave.
En libérant des otages au Burkina Faso ou en s’offrant comme otage comme le fit le colonel Beltram pour sauver autrui, montre bien que les valeurs humaines ne sont pas perdues en ce siècle de la marchandisation des gens.
Mieux, ces gestes gratuits sont de nature à grandir l’humanité, quand elle se rapetisse dans le commerce, l’appât du gain et l’apologie de l’égoïsme du capitalisme ambiant.
Cependant, je soupçonne fort le président Macron et ce depuis l’hommage national aux chanteurs, Hallyday à la Madeleine et Charles Aznavour, dans la cour des Invalides, de faire un peu trop appel aux sentiments, à l’heure où sa cote de popularité est en souffrance, dans l’espoir de la voir remonter, en surfant sur l’élan national pour ses victimes du devoir (1).
En publicité, cela s’appelle la relation d’identification. Le public associe inconsciemment le personnage officiel qui s’agite sur des estrades, prend des poses théâtrales pour lire les textes qu’on lui écrit, dédiés aux héros honorés.
L’idée est que l’autorité pèse sur l’auditoire, indépendamment du contenu du message. En marketing on appelle ça la persuasion-séduction dans la communication de masse.
La présidence l’a bien compris qui se jette sur tous les événements pour les sacraliser et faire en sorte qu’un peu de l’attention bienveillante rejaillisse sur elle.
Là où séduire relève de sa propre finalité, son action de convaincre dans les moments solennels relève de la tromperie !
Ce n’est plus plaire pour accompagner un deuil, c’est plaire pour plaire, plaire pour remporter des suffrages de l’électeur, plaire pour faire passer ensuite des choses déplaisantes.
Il s’agit bien d’une stratégie de détour.
Ce genre de séduction s’adapte aux circonstances. On se compose un visage qui sera repris en boucle sur les télévisions. Le séducteur se vêt, se compose une attitude de respect, prononce des paroles de circonstances en fonction de la cérémonie qu’il préside.
En un mot, il fait du cinéma. Il joue son propre rôle. Il est à la place qu’il suppose être celle qui profitera le mieux à son image.
En politique, le prototype du séducteur est le démagogue, un vieux rôle, tellement vieux que ce sont les Grecs qui l’ont inventé.
Euripide en écrit déjà tout ce que voit le monde moderne « celui qui est capable de s’adapter aux circonstances les plus déconcertantes, de prendre autant de visages qu’il y a de catégories sociales et d’espèces humaines dans la Cité, d’inventer les mille tours qui rendront son action efficace dans les circonstances les plus variées. »
On pourrait juger l’action de Macron ainsi : voilà un homme qui depuis plusieurs mois admet que des armes létales soient dans les mains souvent inexpertes de sa police pour blesser et mutiler sa population, que les dizaines de blessés gravement et quelques morts ne l’émeuvent pas plus que cela et le voilà, la mine grave, s’inclinant sur d’autres victimes dont le sort eût été différent si elles fussent tombées dans la rue au cours d’une manifestation des Gilets Jaunes !
La variabilité de ses sentiments de compassion est trop importante pour qu’elle ne soit pas suspecte.
Le séducteur n’est pas un rassembleur aux moments importants de la Nation. Il n’affirme pas son point de vue propre. Bien malin celui qui pourrait dire ce que pense réellement Macron des victimes qu’il célèbre.
Des philosophes se sont intéressés sur l’importance de la métamorphose dans l’acte de séduction. L’exercice démagogique implique une incroyable souplesse qui passe par la construction d’un vocabulaire politique de scène. Et quand on pense qu’il a épousé son professeur d’art dramatique, Macron doit être parfaitement au courant des techniques du langage à « surjouer » pour qu’elles puissent accrocher le public, du premier au dernier rang.
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1. Alors que les deux chanteurs étaient des fraudeurs du fisc notoires.