Un fichu bilan !
La Belgique garde son apparence grâce à un procédé de cryogénisation qui arrête sa décomposition. La formule est plus efficace que le formol. Elle aurait gardé l’aspect approximatif d’un fœtus qu’elle avait depuis 1832, si les savants avec Delpérée et Delwit, ses théoriciens, l’avaient laissée dans son bocal d’origine.
Les partis frères PS-MR du pouvoir, avec le CDH si tant est qu’il existe encore, ont une formule : pour diriger la Belgique, il faut reculer… pour ne pas sauter. C’est une technique de procrastination pour gagner du temps. Ainsi, sans cesse remis aux calendes, le but (l’éclatement de la Belgique) n’est jamais atteint.
Cela satisfait tout le monde.
On pourrait même imaginer un nouvel « Hibernatus », une Belgique Joyeuse arrêtée dans le temps à l’Expo de 58 !
Tout est en germes, séparatismes, troubles neuro-végétatifs du capitalisme, aporie générale des partis. Ce village Potemkine fait plus vrai que nature, avec des géraniums en plastique aux fenêtres peints sur du papier fort.
Au moins, on riait à la Belgique Joyeuse, un demi coûtait deux francs, soit 0,05 € !
De cette époque, Denis Ducarme et Georges-Louis Bouchez ont la nostalgie. Ils s’habillent toujours avec gilet et cravate. Ils parlent d’un capitalisme à la John Galbraith et croient dur comme fer à la régulation automatique des marchés, leur devise : « Faites confiance aux milliardaires ». Seul détail, le canotier en paille manque sur les photos de famille. Auguste Renoir en 1873 avait anticipé la Belgique sur sa toile « Canotiers à Argenteuil ».
La lenteur et la temporisation sont les deux mamelles de la Belgique heureuse. Le cœur du réacteur électoral refroidit depuis le 28 mai. D’après Loulou Michel, il faudra trois cents ans pour rentrer dans des températures compatibles pour occuper l’habitat à partager entre Sapiens et Neandertal.
Les jus vitaux sont extraits de l'État et partagés entre les grands de la politique. Ces derniers sont des espèces de punaises qui se gorgent de notre sang, puis viennent nous engueuler alors que faibles et anémiques, nous ne comprenons rien à leurs discours, si intelligents par eux-mêmes que l’orateur lui-même ne peut les expliquer.
Comme les punaises, ils peuplent les bois de nos lits à grande vitesse, si bien que notre devoir en démocratie, qui est de les nourrir, devient très épuisant.
Au sommet des sommets, la famille royale vit dans la cité interdite de Laeken. Son chef fait deux discours par an le 21 juillet et le 25 décembre. Ce sont les deux discours les mieux payés au monde. Ils ne servent qu’à voir les lèvres du monarque remuer de façon rituelle donnant ainsi aux paupières un rythme de balancement propre à les fermer. Aussi, ces deux discours sont très courus par les insomniaques qui espèrent y trouver une thérapie du sommeil.
De toutes les forces de chaux vive, le sénat est le fleuron.
Il se compose de soixante personnalités les plus illustres du royaume. Armand De Decker, qui fut leur président, restera gravé à jamais dans les mémoires par l’exemple de son patriotisme, son désintéressement et son altruisme de grand serviteur de l’État. Sa notoriété survivra très loin au-dessus du souvenir que laissa Anne-Marie Lizin, elle aussi glorieuse présidente, à cause de la différence des factures, celle d’Anne-Marie se bornant à des sommes dérisoires réclamées par sa coiffeuse.
C’est un haut lieu de rencontre entre les communautés, on y tue le temps en buvant un bon café et en y piquant de petits sommes. À contrario d’une autre institution (celle de la Justice n’a jamais prétendu être indépendante, sauf pour les gogos), le sénat lui, l’est vraiment. Il est même tellement indépendant que les hobbys, les belles collections, les jeux de société, parmi eux le plus prisé de tous : le scrabble, y ont supplanté la politique.
Cette indépendance est tellement appréciée, que le rêve de tout Belge, l’esprit bien fait et la jambe bien prise, est de se faire coopter pour y entrer.
Des détracteurs veulent le supprimer, c’est du populisme. Les Grands y sont attachés. L'inutilité de l'institution sénatoriale n’est pas prioritaire. Il y a des chances que la Belgique n’existera plus, alors que le sénat, lui, brillera de tous ses feux !
L’ONU tend à sauvegarder les sinécures patrimoniales, afin de permettre aux grands d’y finir des jours heureux. Le sénat belge aussitôt a plaidé pour en être.
La presse n’aide pas à comprendre l’État belge.
Les journalistes ne savent pas comment fonctionne la Belgique. En réalité, personne ne le sait, sauf Quattremer qui se vante de le savoir. Ce qui s’est révélé faux. Tous, ils ne connaissent que les maîtres qui les nourrissent.
Ils ont peur de se faire désaccréditer par des mots « excessifs ». Un des amis des patrons, Denis Ducarme, a les numéros de téléphone de tous les propriétaires de presse. Il tient ainsi les éditorialistes par les couilles, même ceux qui n’en ont pas.
La Belgique est le sanctuaire du vide. On y célèbre le dieu Rien. Rien nous a délégués son fils, Job-Job-Job, pour notre salut. À l’heure de la sieste, il descend de sa croix, comme tout le monde.