Il est juste que les héros meurent…
...car ils en sont dignes ! (René Quinton)
Comment dire ? J’en ai soupé des commémos !
Non pas que les sujets soient plus galvaudés en 2019, qu’ils ne l’étaient en 1830, non, mais ce qui caractérise notre époque, c’est l’impressionnante iconographie, les traces sonores, les témoins virtuels et l’étonnante facilité de nos chefs politiques à reprendre d’anciens discours, encodés partout !
Si bien qu’on a l’impression que l’exploit filmé moderne, reproduit, commenté par des experts, fait une masse prodigieuse. Avant ?... C’est à peine si on a retenu quelques dates avant l’invention des Frères Lumière.
Le héros moderne semble avoir des mérites incomparables. Avant Nadar, il n’y avait pas photo. De l’événement, on en a perdu en cours de route, faute d’une trace sur plaque de verre ! Et même par Nadar, Victor Hugo est fringué comme l’SDF carrefour Saint-Gilles !
Quand, nos Six cents Franchimontois tentèrent, en 1468, de surprendre Louis XI et Charles le Téméraire qui assiégeaient Liège, on n’avait pas l’image numérique. Ils échouèrent devant la tente du roi. Ils furent tous massacrés avant que ces messieurs ne descendent en ville brûler les maisons, violer les femmes et précipiter hommes et enfants dans la Meuse. Cette résistance ultime, ce sursaut de braves, cet exploit magnifique des gens d’ici n’a pas la place qu’il mérite. Mieux, il n’est plus évoqué dans de grands discours. C’est tout juste s’il est encore inscrit en trois lignes, dans un manuel d’histoire.
C’est ça, l’ingratitude des foules !
Par contre, on ploie sous les supports médiatiques du 6 juin 44, jour J du débarquement.
On a même les messages codés « Les sanglots longs des violons » « kiki mange des frites » qu’on explique d’autant plus à l’aise que leur sens premier fait place à celui, divinatoire, des vedettes du showbiz mobilisées le jour où il est bon de se faire voir.
Je n’ai rien contre ce souvenir, la grande joie que nos parents ressentirent à se voir presque débarrassés de la botte nazie. Ce qui me gêne, ce sont les rabâchages et l’exceptionnelle pesanteur des hommes politiques du bizness démocratique. Macron, Trump et les autres profitent de l’aubaine pour repeindre leur blason. La démocratie, c’est eux ! Le monde libre est libre parce que les autres ne le sont pas… et suivez leurs regards, du côté de leur ancien allié, les Russes, qu’on n’a pas invité. On reprocherait presque qu’Adolf ne les ait pas mieux secoués.
En même temps qu’Omaha-Beach, on pense évidemment au Reich et à son abominable mascotte. Les caves des cinémathèques sont pleines des actualités UFA, des contre-actualités de la BBC et des bandes-radios US. Heureusement que les archives de cette ampleur, c’est tout à fait récent. Qu’on l’ ait inventé quelques siècles auparavant, on était écrasé par le poids des actions glorieuses !
Imagine-t-on plus antihéros sanguinaire qu’Adolf ?
Oui, d’après les historiens. Non, d’après les images. Nabuchodonosor n’était pas mal dans le genre voyou, Gengis Khan reste à découvrir, les pharaons au top et surtout Jules César, le Berlusconi d’un Rubicond coulant un demi-siècle avant l’arrivée à Bethléem de l’enfant superstar, guerrier intrépide, amoureux chauve et viril. Un autre julot antique, Antoine, nous est revenu sous les traits empâtés par le Whisky de Richard Burton, à la jupe romaine hardie découvrant des genoux de highlander, au sexe faisant la bosse séante sous la cotte de maille, face à Elisabeth Taylor en Cléopâtre mollement alanguie dans la tunique light, propulsant sous la baleine secrète d’un soutien-gorge Ganducorps une poitrine abondante qu’on devine gorgée de lait.
Si on n’avait pas le film, tourné entre Beverly et Hollywood, que resterait-il de l’Histoire romaine ?
Le seul à réussir le tour de force d’arriver jusqu’à nous sans support visuel ni coloration, rien qu’en liquette, c’est Dieu !
Ah ! si on avait conservé la parole du Christ ! Que n’en eût-on fait ? On voit d’ici Macron interpréter le souffle nazaréen, jusqu’à l’imitation de la voix.
Il nous aurait joué le Christ, à l’identique de ce que la foule massée sur les plages de Normandie attend de lui, déguisé en maréchal Leclerc.
Macron est certain, Dieu rewrité par la Metro Goldwyn Mayer aurait nasillé dans les micros « Le système économique que vous avez créé est parfait. La démocratie qui veille sur ce trésor est exemplaire. Le suffrage universel a prodigieusement fait son travail en plaçant là où elles doivent être, les compétences les plus extraordinaires du monde moderne. »
Ah ! franchement les commémos…