Les malheurs de Sophie.
On aurait quand même le droit de s’étonner que les partis chauds bouillants pour se partager le pouvoir ne soient pas encore parvenus à former un gouvernement à près de sept mois du seul acte de démocratie possible qu’ont les citoyens : voter !
Eh bien non ! L’étonnement est ailleurs, la dernière défaite du Standard, l’historien russe qui se prenait pour Napoléon et qui a fini par découper sa maîtresse pour jeter les morceaux dans la Neva, un mouton à cinq pattes en Inde, le direct du droit foudroyant de Macron dans une salle de sport dépeint par Benalla dans son livre et le dernier viol de Polanski, tout on s’étonne de tout, sauf de l’absence de gouvernement !
Et ce n’est pas le fantôme qui hante la rue de la Loi sous les traits de Sophie Wilmès qui dira le contraire. Au reste, en Flandre, personne ne sait qu’il s’agit de la première ministre en vacation, en attendant Godot.
D’après nos éminences et Sinardet and Partner, c’est la faute à l’électeur. Il ne sait pas jouer au bridge. Même en faisant le mort, il déçoit. Avant d’étaler son jeu, il a fait une mauvaise annonce à pique, et il met tout le monde sur le carreau !
Les élections n’auraient pas dû avoir lieu. C’est clair.
Voter de façon aussi invraisemblable que la seule combinaison possible soit entre deux chimies, tellement identiques dans la gestion du capital, tellement en symbiose sur l’économie libérale, qu’on les confondrait ! Insupportable à un politique.
Les journaux nous cachent tout, à commencer par la seule raison profonde de ne pas annoncer la publication des bans de Paul Magnette et Bart De Wever : la peur d’effaroucher l’électeur qui pourrait voter pire aux urnes suivantes. Sur le fond, tout baigne.
La mondialisation de l’économie à définitivement réglé tous les problèmes des démocraties.
Les chinois n’ont pas acheté le Pirée pour rien. Le plus beau de nos CEO, mais aussi le plus controversé, Steph Moreau, colle mieux au look de la nouvelle association politico-financière que nos premières flèches des partis traditionnels.
Il faut se rendre à l’évidence, l’économie libérale a tué la démocratie. Ce que soixante ans de communiste n’ont jamais réussi à faire, quinze vingt ans après le baisser de rideau, c’était dans la poche.
Pourquoi les gens s’en foutent ? Mais, parce qu’ils ont un autre maître : l’argent. Pour qu’ils reviennent à la politique, il faudrait que le show soit intégré entre Cyril Hanouna et Affaires conclues, qu’il soit conduit par une meneuse de revue, à la langue un peu pâteuse, au cul bien serré dans un body couleur chair, aux nibards refaits et à la conduite douteuse, le contraire de Sophie Wilmès, personnage de la comtesse de Ségur.
C’est un drame vécu par la poignée d’acteurs d’une troupe qui joue devant des chaises vides. Où sont les grands meetings d’antan ? Dans deux, trois ans, on fêtera le premier mai entre grands responsables, dans une arrière salle de la Maison du Peuple, pour tout autant qu’il y en ait encore une et, de l’autre côté du rideau linguistique, on fêtera l’anniversaire de la bataille des éperons d’or, dans un ancien local de l'Algemeene-SS Vlaanderen.
Charabia que cela. Le public boude parce que ce qu’il pensait de la démocratie le poussait plutôt vers le haut, l’aidait à mieux aimer les autres et par conséquent à mieux s’estimer.
Alors, délassement pour délassement, autant s’offrir une place dans un vrai théâtre avec de vrais acteurs qui font rire souvent, réfléchir parfois, plutôt que s’ennuyer au spectacle de vieux pitres sans talent, qui nous font payer les places à l’avance et qui ne remboursent jamais, même quand tout est foutu !
Les acteurs politiques, comédiens professionnels ont déçu. On aurait voulu qu’ils ne fussent pas si doués pour le mime et le transformisme, qu’ils eussent le recul d’effroi qui fait la personne de qualité en voyant ce que le libéralisme, le commerce et l’amour de l’argent ont fait de nous.
Autrement dit, tant que le mauvais exemple prendra place devant le bon, tant qu’on jugera de l’espèce humaine « selon que vous serez puissant ou misérable », tant qu’il y aura une telle confusion dans les valeurs que les sottises, pourvu qu’elles fussent d’université, passent devant l’intelligence populaire, tant que les médiocres feront en sorte de faire croire qu’il n’y a que leur solution possible, il n’y aura pas de gouvernement tirant les Belges vers le haut.
On assistera ce à quoi on assiste aujourd’hui, un roitelet éperdu cherchant le bon grain de l’ivraie dans sa cage dorée, sachant dans le fond qu’il n’y a que l’ivraie, pépiant, sautant d’un perchoir à l’autre, donnant du bec dans l’os de sèche. Sa femelle, assise sur ses œufs, jetant un regard dédaigneux de son nid sur cette multitude grouillante, ne comprendra pas, seulement inquiète, quand ils écloront.