Une démocratie formidable !
Expliquer les choses comme on les pense et non pas comme on les dit, n’est pas aisé. Rares sont ceux qui ont cette sincérité là. Nous nous mentons à nous-mêmes : sur nos performances, notre intelligence et notre sagesse, le tout dans le désordre, bien entendu. Sage d’abord et déconner ensuite ? Même, si la sagesse était avant, la connerie, il n’est pas sûr que l’on puisse éviter cette dernière.
Dans la haute société, on ne raisonne pas ainsi. L’attitude est en fonction du rang. Un certain état de dépendance envers qui a la signature bancaire règne, c’est tout.
Les familles vivent derrière des paravents. Cela peut être un petit espace clos, un jardin avec un chemin entouré de rosiers ou un parc, que l’on franchit en voiture tant de la grille de la rue, au perron, il y a du chemin.
La plupart des gens vivent au bord des trottoirs, même parfois sur le trottoir. Entre le monde extérieur et eux, il n’y a qu’une vitre. Les chanceux l’ont en double. Tous ont des rideaux derrière lesquels on voit sans être vu ou à peine vu. Surtout des tentures, plus elles sont épaisses, plus on a l’illusion d’être retranché du monde, de n’être pas vu.
Comme aurait dit Bourdieu, l’épaisseur des tentures joue un premier rôle social.
Ce quotidien dit l’essentiel d’une discrimination, d’autres diront une injustice, entre le propriétaire du parc et celui des rideaux et entre celui des rideaux et celui du trottoir.
Puisqu’il y a une vie sociale et qu’il faut bien se nourrir, les grosses différences viennent de ce qu’on appelle le reste et qui n’est rien d’autre que l’essentiel.
On se fait à tout, certes, mais on s’habitue plus vite à gérer de haut en bas que l’inverse. On est plus à l’aise d’être le chef que d’en avoir un. La plupart des gens qui en ont un ne sont pas maîtres de leur temps. Ils ne peuvent pas organiser leur travail comme ils l’entendent. Ils le font selon des ergonomes et des techniciens de production.
Là est la plus grande discrimination.
Cette discrimination part des métiers libéraux, médecins, avocats, notaires, des hauts emplois d’administration et des mandats d’hommes publics (puisque selon Reynders être parlementaire est un métier), pour descendre jusqu’aux métiers à mains, physiques, pénibles, contraignants, mal payés, etc.
Autant l’organisation de la journée peut passer pour exaltante dans la hiérarchie au sommet des professions, autant celle de tout en dessous de l’échelle sociale paraît gravement compromise par des contingences et des obligations qui achoppent sur l’organisation de la propre vie de l’intéressé. On a peine à imaginer que les deux bouts de cette chaîne aient la même dénomination pour désigner des actions si différentes : le travail !
L’objectif du monde libéral : l’amalgame ! Faire accepter l’inacceptable par les gens d’en-dessous et par un réflexe de prudence, tempérer les bouffées orgueilleuses, sadiques parfois, des gens du dessus. Cet amalgame profite exclusivement aux classes supérieures.
C’est un assemblage discordant, un faux ménage, que depuis toujours les instances dirigeantes tentent de concilier, sans jamais y parvenir, et pour cause, tout cela suinte d’inégalités et d’injustices. Voilà quarante ans que le PS a solennellement condamné le principe de la lutte des classes !
Deux mondes différents : un qui tire la couverture à soi et il en a le pouvoir et l’autre qui ne dispose que de la couverture qu’on lui octroie qui n’est jamais qu’un coin de la couverture de l’autre, qui ne le protégera jamais tout à fait du froid.
L’Ancien Régine n’avait pas besoin de raisonner sur sa condition élevée par rapport aux conditions du dessous. Il avait au moins le mérite de la sincérité dans le mépris des gueux.
En démocratie, il en va tout autrement. Il faut que l’on puisse justifier des fortes différences ; il est crucial d’avoir des électeurs en nombre pour maintenir le système à flot. Donc, il faut nécessairement que des gens aux conditions basses votent pour que les conditions hautes poursuivent leur parcours avantageux.
De cela on peut en déduire que les gogos les plus affirmés se retrouvent dans les partis de la majorité qui soutiennent en l’état, la démocratie comme elle va.
Ceux d’en bas qui n’en font rien, sont évidemment des ennemis potentiels que les gens du dessus veulent réduire.
Parmi les gagnants du système, on allègue les niveaux d’intelligence diversement répartis. Comme il n’existe pas vraiment de critères réels, on en a trouvé un, tout à fait spéculatif, qui ne repose sur aucune réelle différence séparant le tout venant de l’université. Le critère est la longueur du parcours, plus long d’un côté et plus court de l’autre. On s’est dit en haut lieu, voilà de bons critères qui closent le bec aux revendications égalitaires. Attendu qu’il y a moins de diplômés de l’université, nous ferons admettre par le cercle des privilégiés, quelques membres venus des bas du classement. Cela permettra aux masses populaires de rêver. Les bourgeois rentiers qui n’ont qu’un certificat d’études du premier degré passeront au bleu. Ils ont leur gold-Cart qui leur sert de diplôme. Elle est même d’une qualité supérieure.
Ce que la haute société n’avait pas prévu arrive à grandes enjambées : le nombre croissant de diplômés des universités. Il faudra bien en prendre son parti, certains resteront chômeurs.
On se demande, ce que la classe supérieure va bien pouvoir inventer pour justifier aux yeux des naïfs, des immatures et des imbéciles que notre démocratie est tout bêtement formidable !