Qu’ils aillent se faire foutre !
Paul Valéry dans ses « cahiers » dit son scepticisme de l’intelligence des élites, Bourdieu enfonce le clou pour ceux qui savent tout mieux que tout le monde, Emmanuel Todd l’affirme, le monde ne va pas bien, la faute aux décideurs d’en haut.
Qui a pu croire, que les gens iraient jusqu’à céder leur parapluie et jeter leur veston devant les pieds des illustres les jours de pluie, afin que ceux-ci ne se mouillassent point les orteils ?
« Personne », répond la rue.
Nos illustres croient exactement le contraire. Ils ont tant investi dans les avantages du système, tant vanté ses bienfaits, déifié l’économie capitaliste, joyau de la plus haute civilisation que l’humanité ait jamais eue, qu’ils sont persuadés à l’heure des sacrifices, que les gens vont les suivre, s’auto-sacrifier sur l’autel de l’individu-roi, qu’ils iraient jusqu’à offrir leurs tripes et les sauver par dons d’organes ! Coca-cola Bacquelaine, Sophie Wilmès, Bart De Wever, Georges-Louis Bouchez, le roi Philippe, Elio Di Rupo, les Michel et ma tante n’en démordent pas, et par delà ces obstinés, des beaux oiseaux de l’Europe, jusqu’à l’inculte de la Maison Blanche, pareils !
Ils ont raté une leçon, une tache dans leur cursus : le passage où les gens croient aux combines du système quand elles ne sont pas trop meurtrières, qu’elles ne flinguent pas l’ouvrier dans la rue, qu’on puisse encore se rendre aux toilettes au boulot, sans attendre la pause, etc.
Emmanuel Macron pensait avoir calmé la colère des Gilets jaunes par des mesures financières et des consultations citoyennes.
La Belgique tranquille sans gouvernement n’a pas vécu la même fièvre. Auparavant, cela aurait pu mal finir avec Coca-cola Bacquelaine et son deal sur les pensions. Ce n’est que partie remise. Georges Louis Bouchez a remis sa copie au roi, c’est un autre nosographe de la Belgique qui prend le relais. Il n’est pas plus intelligent que les autres.
L’Europe ne comprend pas non plus. Von der Leyen est déjà larguée. La recrue Reynders n’est pas le nouveau Léonard de Vinci de l’UE, Charles Michel est à l’avenant.
En France, un président de la République n’aura jamais autant débattu avec les gens. Les chaînes d’information l’ont acclamé, debout, en bras de chemise, seul contre tous ! L’image du héros. Résultat : le bide ! Il s’est replié à l’Élysée satisfait de ce qu’il a cru être une performance. Il n’a pas compris que les gens se fichaient de sa gueule.
Sur la réforme des retraites, alors qu’avec Philippe, Macron croyait l’affaire pliée, voilà que les salariés prennent le relais des Gilets jaunes et que le Conseil d’État retoque le projet.
Les Français découvrent que le « ni droite ni gauche » de Macron a été remplacé par une pensée technocratique de droite. L’universel se résume au marché. Le pseudo-changement est le contraire du progrès. L’individualisation et la mise en concurrence systématique, pièges de division du gouvernement Philippe, n’ont pas entamé la solidarité entre travailleurs, si l’on excepte un syndicat réformiste qui s’est déconsidéré lui-même par ses contradictions.
Les Français sont devenus involontairement par leur exemple les porte-parole des Belges. Ils ne veulent pas une carrière plus longue, ni leur pension diminuée. Presque tous ont hâte de quitter leur emploi et ne veulent pas d’un départ retardé.
Il serait temps de revenir à une définition meilleure du travail et des conditions pour l’exercer. Un bon emploi est celui dans lequel se développent les capacités de chacun, avec pour finalité une utilité sociale. Déçus, les travailleurs souhaitent que le travail ne bouffe pas leur vie. Nos intelligences supérieures confondent crise de la valeur du travail et fort malaise. Les travailleurs ne croyant plus aux « valeurs » exaltées par ceux qui ne foutent rien, se replient dans une position de retrait, en attendant que la connerie du dessus se dilue dans la vigilance du dessous. C’est encore le remède le plus efficace qu’on ait trouvé pour la lutte contre le syndrome d’épuisement, le burn-out, la sidération pour cause d’ennui, la consommation de psychotropes. L’idée de « faire semblant » et de saboter par l’inertie ce que l’on a le « devoir » de faire n’est pas loin. Cela pourrait être la grève intelligente de l’avenir.
Voilà des années que Bourdieu a dénoncé l’organisation du travail de la discipline tayloriennes. Je suis particulièrement fier d’en avoir prévu les effets dans les syndicats à l’époque, alors que les dirigeants des années 70, n’y voyaient que des avantages dans de meilleures rendements et donc de meilleurs salaires et ce conseillés par les augures du PS acquis à ce genre de « progrès ».
Nos « trop instruits pour être honnêtes » se sont acharnés à individualiser les tâches dans le but de poursuivre la subordination des salariés en les marquant à la culotte. Des emplois intermédiaires entre le management et la fabrication du produit ont été créés pour « tracer » le produit et en accélérer le départ « fini » des lieux de fabrication.
C’est de cette chiourme moderne dont on ne veut plus.