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Faut-il croire Smith et Tocqueville ?

Le confinement donne du champ à la réflexion philosophique. Des événements s’associent ou se heurtent dans des contradictions où l’oblatif s’oppose à l’égoïsme. Seul à ma table de travail, entre mes livres et l’écran de l’ordinateur ouvert sur le monde, l’incompatibilité du système économique libéral avec la solidarité, saute à mes yeux comme une évidence. Comment la transcrire ?
Alors que les solutions existent, pourquoi le capitalisme semble-t-il incapable de résoudre la crise majeure de notre temps ? On a tellement écrit, tant d’avis tranchés se sont affrontés ! Pourtant, c’est clair, contre le coronavirus aucune défense efficace n’est possible sans une association des talents. S’il y a bien un antidote au coronavirus, c’est le collectif. Rien qu’à voir la réaction de Trump à l’envahissement de son pays par COVID-19, on a compris. Le capitalisme est en défaut. Il ne convient pas dans ce genre d’affrontement. Le virus et lui, c’est une association de tueurs. Les Américains vont l’apprendre à leurs dépens, comme nous.
Est-ce une intuition dont le cartésien que je suis aurait à se méfier ?
Le capitalisme ne vaut-il rien ou seulement à des moments d’exception ? Faut-il définitivement sortir du schéma libéral inopportun aujourd’hui, dangereux demain ?
Un fait devrait attirer notre attention, contrairement à la Chine, les escroqueries et les grossières arnaques se sont multipliées en Belgique et en Europe, alors qu’on est en pleine épidémie. C’est un des effets d’un système qui ne fait jamais appel qu’à des formes schizoïdes de comportement, déformant jusqu’à l’altruisme comme une réclame de soi-même !
Il n’est pas question ici de célébrer un système social en déblatérant le nôtre. Qui voudrait vivre en Chine sans éprouver la pesanteur d’un État du genre de celui d’Orwell ? Mais, cette comparaison dans ce cas bien particulier de la délinquance pose la question : la liberté d’entreprendre, n’est-elle pas d’abord la liberté de dépouiller les autres, peu importe la manière ? Associer les pervers, les mouchards et les opportunistes pour faire triompher le système, la liberté d’entreprendre serait plutôt la négation de la liberté formelle.
Avant de revenir à Gilles Deleuze, que pensent les Michel, Reynders, De block, Bacquelaine, Bouchez, Di Rupo et compagnie du capitalisme ? Pour eux, le capitalisme est la forme même de la vie humaine. Aiguiller l’homme à produire en lui promettant une récompense, est encore le meilleur moyen qu’on a de le faire courir et à rapporter à son maître le bout de bois qu’il a lancé. Chacun y trouve son compte, à condition que les règles d’autorité soient respectées et que le chien ne devienne pas le maître du maître. Ainsi individué, privé, tant que chacun reste à sa place, le capitalisme est un tout cohérent avec un système juridique. Le caractère privé de la vie humaine s’y épanouit et fonde la légitimité de la propriété. Le « Monde libre » pour les personnes citées est une société de profit, dénuée de toute violence légale quand les règles y sont respectées, même si en chipotant un peu, il est facile à démontrer que l’éthique du capitalisme n’est en réalité qu’une métonymie d’une morale détournée à des fins utiles.

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Les périodes de grands troubles renforcent les convictions du monde dirigeant, tandis que les populations perçoivent directement l’inverse dans leur existence. Elles y voient le côté noir du capitalisme, sa capacité à détruire le collectif, de se l’approprier en le privatisant par pièces, son absence de résilience et sa complète indifférence envers ceux qui ne réussissent pas selon ses critères, et le gâchis humain d’intelligence et d’inventivité qui s’en suit.
Ainsi, ce gravé défaut de ce qui fait l’armature obligatoire d’une démocratie devient un outil de propagande Il multiplie ses travers en période de crise et les rend invisibles en période de croissance économique. Pour Gilles Deleuze, ce constat est un objet philosophique proprement dit. Il a été jusqu’à mobiliser la psychanalyse dans sa tentative d’appréhender le capitalisme. « Capitalisme et Schizophrénie ».
Le capitalisme est selon lui, une "entreprise mondiale de subjectivation". C’est une formation sociale qui crée des sujets "sans objet", donc pauvres. Ces sujets se retrouvent au cœur de la machine capitaliste qui régule les "flux de désirs". Le capitalisme est par cette multiplicité de désirs déterminée par le jeu du profit. Tout y est quantifiable, car tout est marchandise ! La production incessante de nouveaux produits le confirme. Dans cette perspective, les sujets sont asservis par un système en perpétuelle crise. Le capitalisme en cherchant à se reproduire crée des situations d’assujettissement. Le citoyen-consommateur sera pratiquement à la naissance classé en sujet dominé ou en sujet dominant.
C’est l’avènement de l’individu privé. Nous sommes divisés naturellement en classe sociale par le capitalisme, d’où le rapport entre le capitalisme et schizophrénie traité dans les deux tomes, l’Anti-Œdipe et Mille Plateaux, de Gilles Deleuze. (À suivre, chronique suivante)

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