Hier… 1936 !
D’une incursion au siècle passé, on revient avec le même sentiment de gâchis que celui de ces vingt dernières années. On y voit encore accrocher dans les mémoires, le portrait repoussant que l’anticommunisme a réussi à imposer dès la guerre froide. Il s’est inscrit dans les gènes des générations fin du siècle jusqu’à nos jours. On exhume au passage, avec les matricules d’anciens militaires, les photos trouvées dans leurs portefeuilles, des révolutionnaires qu’ils ont connus, qu’ils ont été parfois, dont le portrait de Staline, désormais égal à Hitler.
Le sel échec de l’oligarchie libérale, c’est de n’avoir jamais su faire partager la haine de Che Guevara, à l’exception de l’extrême droite et des socialistes.
Revisitée par les journaux belges d’opinion tous de droite, il fallait que la haine du révolutionnaire ne s’éteignît point, en ces moments de crise profonde du capitalisme financier et économique. La tendance serait d’associer le communisme à l’archipel du goulag et au Pacte germano-soviétique. Mais les gazettes sont victimes de leur propre désinformation de l’histoire. Les goulags, les jeunes savent encore à peu près ce que c’est, des bandes dessinées existent qui les mettent en scène ; mais le pacte germano-soviétique, il faut remonter à la rhétorique pour rencontrer un étudiant qui en connaît un bout.
Faisant le saut d’un siècle à l’autre, la vieille génération de gauche garde un souvenir ému de ce peuple tant malmené au siècle précédent et dont il n’est pas certain que celui-ci lui sera meilleur, même si la crise a révélé l’importance des petits métiers, de l’éboueur, à la caissière, de la technicienne de service (beau mot pour couvrir celui de la femme d’ouvrage d’un vêtement « plus digne) à l’auxiliaire des soins dans les hôpitaux.
Oui, gloire à d’autres héros du siècle passé, à ceux qui vendaient L’Humanité dimanche ou le Drapeau Rouge avec le muguet du Premier Mai, autour des cortèges des syndicats et même du parti socialiste quand il était encore un parti ouvrier.
En 2020 que reste-t-il d’eux ? Ce ne sont pas les journaux à la dévotion de la bourgeoisie opulente qui en rappelleront le souvenir. Qui dira jamais l’abnégation et le sacrifice des petits militants préférant leur idéal à la promotion dans les entreprises, dont ils étaient les parias et les souffre-douleur des contremaîtres ?
Et le 25 avril 1974 qui s’en souvient encore ? Moustaki quelques jours auparavant chantait à la Mutualité la chanson – une seule chanson, vous vous rendez compte – qui renversera une dictature « À ceux qui ne croient plus / Voir s’accomplir leur idéal / Dis-leur qu’un œillet rouge / A fleuri au Portugal » !
Le Soldat Tchapaïev à Santiago du Chili, c’est Luis Sepúlveda qui écrit une histoire d’amitié en solidarité avec les Vietnamiens pendant la guerre des américains. En 1965, l’écrivain était secrétaire politique de la cellule Maurice Thorez du Parti communiste chilien. Son camarade pilotait la cellule Nguyên Van Trôi. Les conversations, impensables aujourd’hui, portaient sur La Révolution permanente (de Léon Trotski), citaient des passages entiers du manifeste, expliquaient Engels et rappelaient que Lénine, avec les bolcheviks et les mencheviks, avait discuté 72 heures avant d’appeler à l’insurrection.
Le siècle dernier est rempli d’histoires de ce genre. Il suffit d’ouvrir des vieux fonds poussiéreux des bibliothèques pour en emplir des caisses.
Demandez donc, aux militants de la N-VA et du Vlaams Belang, s’ils ont autant de souvenirs de leurs militants, parfois anciens SS, dont Theo Francken hantait encore il y a quelques années les commémos remplies d’histoires des hauts faits du front de l’Est.
Oui, il y a bien eu une histoire révolutionnaire au XXme siècle, qui a mal tourné avec la fin des illusions d’une autre société qui s’est perdue dans la confusion des pouvoirs et de ses élites, comme est en instance de disparaître sa grande rivale, capitaliste pour exactement les mêmes raisons.
Reste pour nous les anciens combattants du pouvoir capitaliste, toujours en vie, confinés le stylo à la main, les souvenirs d’un siècle qui fut principalement le nôtre et les éclairs peu nombreux mais fulgurant qui l’ont parcouru, Lénine en 17, Blum et le front populaire de 36 et la guerre d’Espagne dont on ne dira jamais assez que c’est là que la gauche aurait pu, si la droite capitaliste n’avait pas été du côté de Hitler, gagné la partie et sauvé le monde d’une horreur à trente millions de morts.
C’est à ce moment charnière que l’aventure aurait pu s’ouvrir sur une société égalitaire et que sentant le danger, ceux qui quatre ans plus tard tinrent un discours contraire de circonstance contre le nazisme, trahirent l’humanité entière au nom de leurs intérêts personnels, exactement comme leurs successeurs aujourd’hui.