À propos de Léopold II.
Déboulonner les statues au prétexte que ceux qu’elles représentent ont failli, pose la question de la qualité du statufié, mais aussi de celui qui dégrade le monument.
Ce dernier est-il un juge, possède-t-il tous les éléments du dossier ? Est-il l’exécuteur de sa propre sentence ou bien passe-t-il aux actes par ouï-dire ?
Cette façon de protester contre un personnage de l’Histoire est très ancienne. Dans l’Antiquité, il était courant de marteler des monuments pour que se perde la trace de celui qu’on avait représenté dans la pierre ou le bronze.
En 2008, Théophile de Giraud avait peint en rouge la statue de Léopold II à Bruxelles pour dénoncer l’aventure coloniale du monarque. En 2020, c’est par une autre source que celle de l’activiste cherchant à l’époque à faire parler de lui, que d’autres procèdent aux dégradations.
Peu importe, Léopold II ne valait pas cher en tant qu’homme et en tant que roi, pas davantage, si des monuments existent à son effigie, c’est sans doute que ceux qui les ont voulus, en y consacrant les deniers publics, étaient tout aussi peu recommandables.
N’est-ce pas plutôt la valeur excessive que nous accordons à tout ce qui dépasse le troupeau d’une tête qui est en cause ?
Nous mettons de la valeur à ce qui n’en a pas et nous dédaignons trop souvent les vraies valeurs, parce qu’elles s’attachent au collectif, plutôt qu’à l’individu.
Nous souffrons d’une maladie qui s’appelle la psychose de la notoriété. Nous attribuons à tout personnage en vue, des connaissances et des vertus qu’il n’a pas. Si Léopold II avait été un petit escroc aventurier et inconnu brutalisant une population pour en dérober les richesses naturelles, aurait-il eu droit à un entrefilet dans un journal de l’époque ?
Le double hasard l’asseyant sur un trône (il n’aurait pas dû régner), le voilà magnifié, transporté dans la notoriété, alors que son destin eût pu être médiocre et anonyme.
Nous faisons trop de cas des chefs, des « conducators », des présidents de parti, des ministres et des experts. Cela nous handicape dans notre démarche pour une société plus juste.
Les héros n'existent que dans les livres d'enfants et chez les personnes sentimentales, toujours en quête, d’un(e) prince(sse) charmant(e) dans le plaisir d’être subjugué(e) et conduit(e) à rendre les armes, avec forces soupirs énamourés.
De cette sensiblerie, nous sommes tous coupables, les actifs des partis en premiers, portant les attachés-cases de leur « grand » homme aux réunions « importantes », devenant par le reflet du soleil, le soleil lui-même, se laissant pousser la moustache quand l’idole arbore trois poils sous le nez et gardant comme relique, un trombone qui aurait attaché les deux feuillets du dernier discours. (voir l’ascension de Louis Michel et Didier Reynders larbins de Jean Gol)
Quand ils ne sont pas pétris de vices, persuadés de leur propre importance, plus prosaïquement usant de la notoriété pour se faire du fric, nos ministres et représentant du palais, le monarque lui-même, tous partagent nos défauts, nos tics, nos superstitions, nos étroitesses d’esprit, nos égoïsmes et nos lâchetés, nos rancœurs, nos jalousies mesquines, nos outrances, nos bêtises, au même titre et aussi couramment, que la satisfaction des besoins naturels de l’espèce.
On s’aplatit devant un Michel, un Bouchez, un Reynders, comme on s’est aplati devant un Léopold II ou III... Alors que, comme tout le monde, ils vont à la selle tous les matins, puis procèdent au rituel de propreté dont les gens usent, tout au moins dans le monde occidental.
Prétendre qu’il n’en est rien, que les héros ne sont pas des gens ordinaires serait les extraire de la condition humaine et les hisser à hauteur du divin !
L'histoire humaine n'est pas figée. Elle ne cesse de se contredire. La science rebat les cartes, se trompe elle-même et déboulonne aussi des statues.
Je me souviens d’un temps où les médecins fumaient dans les couloirs des hôpitaux et personne n’y trouvait à redire. On a interdit l’affiche du cow-boy qui fumait des « Marlboro », victime d’un cancer et de la colère des lecteurs de magazines. Le tabac a fait plus de victimes que les sbires de Léopold II au Congo, les propriétaires des marques ont toujours pignon sur rue et achètent les consciences de « haut placés », sans que cela émeuve le public.
L’art statuaire est une manière civilisée d’agrémenter les parcs et les avenues. Célébrons la nature et ses personnages, les allégories de toute sorte, rendons hommage à l’artisan à son établi. Gardons-nous comme la peste de représenter des personnes qui ont fait l’admiration de leur génération et qui finissent souvent par se faire détester de la suivante.