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Riso amaro…

La Bruyère le déplorait déjà « Il ne manque cependant à l’oisiveté du sage, qu’un meilleur nom ; et que méditer, parler, lire et être tranquille s’appelât travailler ». À l’apophtegme de l’auteur des Caractères, il faut ajouter le créateur, l’artiste, le comédien, le chanteur-danseur, tout qui dessine, peint, sculpte, au contraire d’être tranquille, mais surmené et ravi de l’être et, du jour au lendemain, le voilà privé de tout et même de pain !
Ce monde, vivant de peu et travaillant beaucoup pour le denier que le public prodigue à peine, disparaît sous les coups de la crise économique et de la pandémie.
L’artiste est essentiel à la société. Les gens ont besoin de lire, d’aller au théâtre, de parler entre deux actes, d’entendre craquer les parquets des bibliothèques et des expositions.
Les gens du spectacle, font un métier souvent peu ou pas rémunéré qui les occupe les trois quarts de leur temps, le reste assure la « matérielle », disait Jouvet.
Un artiste ne vit pas d’amour et d’eau fraîche mais d’électricité et de factures. Dans la situation présente, il lui devient impossible d’honorer qui le loge, l’éclaire et le chauffe.
On oublie trop souvent que derrière la coquette et le gendre parfait, le gandin parfumé et la veuve mante-religieuse, l’imitateur de Johnny, etc. existe mal connu l’ensemble des métiers de la scène et pas seulement, le photographe qui développe lui-même en argentique, le peintre qui n’est pas que du dimanche, l’écrivain public, les profs d’art dramatique et de musique hors statut officiel, etc… tous ces métiers, qui n’en sont pas vraiment, abritent des rêveurs, des gens ordinaires que l’Art a saisis. "Ah, pour être dévot, je n'en suis pas moins homme" fait dire Molière à Tartuffe.
Être humain comme les autres, s’habiller, manger, se loger, élever des enfants… l’artiste a besoin d’un salaire minimum.
La reconnaissance morale n’a jamais nourri personne.
L’artiste ne se sent pas du tout soutenu par la société et même parfois par ses proches. Son premier public : sa famille est presque toujours sceptique, voire hostile. On dirait qu’il faut l’approbation d’inconnus pour qu’un père reconnaisse en son fils, un don qui le touche. : “Fais un métier plus normal, plus stable !” entend souvent l’artiste. En plus d’être dans une situation difficile, il peut se sous-estimer et culpabiliser. En cette fin d’août 2020, l’artiste se sent lâché par tout le monde.

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Malgré le pain dur certain, il s’est lancé. Il fait ce qu’il aime, mange peu, mais ça va. Les plus chanceux ont un travail à côté dans l’industrie. Au moment où ça fonctionne que l’ordinaire s’étoffe, qu’on atteint presque la sécurité d’existence, voilà que la crise économique devient sociale en se frottant au coronavirus. Les salles se vident, le chanteur se retrouve avec une sono à payer dont il n’a pas le moindre sou, l’organisateur des spectacles a disparu, le metteur en scène est devant des salles vides, et le comédien sans rôle, rentre chez lui avec une boîte de sardines pour toute la semaine, dans son filet à provision !
Il s’inscrit comme demandeur d’emploi, mais lequel ? Il n’en a pas comme on l’entend à l’ONEM, aux petits soins pour les industriels. Il n’entre dans aucun critère, n’a pas de certificat, pour satisfaire l’État bourgeois. C’est un marginal, un parasite, son sort est scellé ! Avec de la chance, il aura un viatique du CPAS, sinon, c’est la cloche, la rue, la mort sociale.
Nombre d’artistes sont obligés de multiplier les petits jobs. La société peine à accepter qu’être artiste est un métier à part entière. Il est exercé à plein temps. On a la vision du peintre qui jette ses couleurs en une nuit sur la toile. Or un artiste doit construire mentalement son œuvre, l’élaborer, le retravailler… Le travail considérable dure parfois plusieurs années.
Nous sommes dans une société capitaliste. Le système pousse les artistes à se battre les uns contre les autres pour atteindre le succès. Est-ce vraiment le but de l’art ? Le danger pour un artiste était de rechercher le succès commercial plutôt que de privilégier un travail de créateur. Pour l’heure, c’est de rester le ventre creux le moins longtemps possible.

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