Experts !
Les « experts » occupent une place à part dans les médias. Ils s’expriment sur n’importe quoi, dans n’importe quelles conditions, mais toujours respectueux des autorités établies. Quand Gilles Deleuze et Pierre Bourdieu ont décrit ces fast-thinkers, ils ignoraient encore à quel point ils envahiraient l’appareil médiatique
Passant de la catégorie « experts militaires » à « experts du terrorisme », ils ont éveillé des ambitions dans le domaine médical à l’occasion du Covid-19. Les virologues en épidémiologie et autres babioles, sont devenus experts, par la force des choses. Aujourd’hui, plus rien ne les retient ! Le temps de sortir le nez des éprouvettes et les voilà montrant un goût pour se faire voir et entendre comme un Deborsu ! Enchantés d’eux-mêmes, en véritables experts du show médiatique, ils se découvrent une vocation de VRP au porte à porte.
L’esprit sorbonnard de la dispute qui sommeillait en eux depuis le moyen-âge trouve dans la Covid-19 le moyen formidable de sortir des cliniques, comme on sort du formol.
Très spécialisés, certains experts en connaissent de plus en plus, sur des sujets de plus en plus limités. Mais en général, l’expert le plus courant est celui qui sait tout d’un plein rayon de « Que sais-je ». Deux heures d’émission télé, sans reprendre du souffle, ne viennent pas à bout de l’étendue de ses connaissances.
En se familiarisant avec la caméra, ils ont pris de l’ascendant sur tout ce qui s’agite et parle à la télé. Quand un ministre est invité face à Bourdin ou Léa Salamé, on sent qu’il a été briffé par les experts de son cabinet. Il se fait le porte-parole de ses porteplumes.
Que ce soit dans le domaine de la médecine, de l’économie, de la sécurité, de l’espace et même des vins et de la cuisine, les experts médiatiques ont la redoutable faculté de s’exprimer avec aplomb, dans le triomphe des connaissances prétendues qu’on leur prête, sans toujours bien maîtriser le sujet.
On aurait pu penser que la crise du coronavirus changerait le bagout, en réflexion. L’exigence d’une information de qualité s’impose, d’autant que de mauvaises informations impliquent des morts. Les tenants de la parole publique ont une responsabilité plus grande que d’habitude. Et pourtant, rien ne change parmi les grands médias.
Spécialiste de la médecine populaire, hygiéniste-conseil pour ceux qui négligent de se laver le gland après une fine partie, Michel Cymes a pris le coronavirus à bras le corps, à défaut de prendre en public, celui, charmant, d’Adriana Carambeu, sa complice de plateau.
Arrêt sur images consacrait un scoop au « médecin de la télé » avec comme bande annonce « Coronavirus : un Cymes matin, midi et soir ». Celui qui dit continuer ses consultations à l’hôpital deux matinées par semaine, passe surtout son temps dans les loges de maquillages, disent les mauvaises langues.
Avec le nouveau virus Covid-19, Cymes s’est révélé être l’archétype de l’expert. Des journalistes ont relevé toutes les contradictions de ce grand spécialiste, pour nous informer au juste sur quoi ? Que le coronavirus « reste une maladie virale comme on en a tous les ans » ou encore : « Il y a moins de risque [qu’en Italie], on est mieux préparés et puis je ne crois pas qu’un jour on va mettre toute la France en quarantaine ». Ou encore sur Europe 1 : « Je ne suis absolument pas inquiet. C’est un virus de plus, on le dit souvent, c’est une forme de grippe. Je ne suis pas inquiet parce que je suis en bonne santé et que je ne fais pas partie des cas les plus graves. » Pour revenir sur la question quelques jours plus tard « Je fais mon mea culpa aussi, j’ai trop rassuré les Français, mais comment les inquiéter de façon excessive quand on n’a pas les données épidémiques à 15 jours ou 3 semaines qui permettent de dire que ça va être aussi catastrophique qu’aujourd’hui. » On dira à juste titre, quand on n’a pas d’informations, il vaut mieux fermer sa gueule, mais comment la fermer quand on a deux heures d’antenne à remplir ?
On l’a assez entendue la petite musique sécuritaire en Belgique comme ailleurs sur le manque de discipline, rapport aux distances, aux masques, à l’hygiène des mains, à l’irresponsabilité des foules, etc. Pour qu’une information des experts ou du gouvernement soit crédible, il faut qu’elle soit claire, ce qu’elle n’a jamais été, quelle soit sûre et définitive, ce que les experts n’ont jamais compris.