Goldmember.
Jadis, quand on venait d’un milieu chrétien, on était généralement friqué. Non pas qu’il n’y eût pas des assidus du prie-Dieu dans la misère, mais ils n’avaient pas leur nom gravé sur l’entretoise, ce qui les reléguait derrière les premiers rangs.
La haute période de l’honorabilité de façade et des mots interchangeables fut celle entre 1880 et 1935, cinquante-cinq années d’alliance du fric, du sabre et du goupillon. Après, ce fut « l’horreur » du Front populaire, puis le bonheur d’une collaboration douce à laquelle participa activement la chrétienté en croisade sous un nouveau Godefroid de Bouillon, le surdoué du crime germain, avant de devenir après 45, les américanolâtres qu’ils sont encore, aux noms de leurs intérêts particuliers.
Dans ce milieu chrétien, la bonne éducation voulait que l’on ne prononçât pas certains mots du dictionnaire sans avoir été dûment transformés, par exemple couille, devenait nouille, putain devenait « la qui se néglige » et il n’y avait de maîtresses que d’école.
Dieu ne faisant plus recette, une mutation profonde du milieu friqué chrétien s’opéra. Jusqu’au délire de cet Américain de l’Église évangéliste, originaire d’Atlanta, qui, après avoir fait sauter la banque d’un casino en ligne, est mort en voulant se faire des testicules plaqués or comme le grand méchant du film Austin Powers, Goldmember. On peut se faire des couilles en or au sens figuré et en mourir au sens propre.
De van Damme, à du Châtelet en passant par Frères, Davignon ou d’Ieteren, la discrétion est toujours de rigueur sur le compte en banque, mais on ne dit plus nouille pour couille.
Les nouveaux chrétiens pourraient même en remontrer aux films d’Audiard, sur la breloque amoureuse.
Parole d’Homme, où ils n’ont pas bougé d’un iota, c’est la partie d’eux-mêmes consacrée à l’oseille, qu’ils nomment toujours chrétiennement : l’argent. Ils vont toujours à Messe, mais dans un autre temple : la banque.
Cependant ils sont inquiets. Le pare-feu qu’ils avaient conçu entre la soie et le coutil, la démocratie représentative, leur fait défaut. Non pas qu’elle leur soit en elle-même défavorable, ce sont surtout les hommes qu’ils ont choisi et que nous élisions, qui donnent des signes de fatigue.
Sommes-nous stupides ! Nous, citoyens, nous leur avons donné un chèque en blanc, valable notre vie durant, afin de faire ce qu’ils veulent de nous !
Et voilà que trop nombreux, comme des porcs à la mangeoire, ils grognent, se battent entre eux et que ça se voit, Husumer (1) chrétien contre Leicoma (1) libéral, sans aucun compte à rendre, sans tenir leurs promesses électorales, puisqu’ils se sont mis en affaires courantes.
Soutenus par les milliardaires, européistes et néolibéraux d’attaque, ils considèrent le mandat électif non pas comme une mission provisoire, un honneur, mais comme une profession. Leur unique but après avoir servi de maître d’hôtel aux détenteurs du pognon, c'est d'être réélus grâce à la pub payée par les milliardaires. L'électeur est un un marché à rentabiliser.
Ces représentants du peuple sortent des catégories socioprofessionnelles supérieures : hauts fonctionnaires, avocats, médecins, journalistes, cadres et retraités de grandes entreprises, au culot à représenter les employés, les ouvriers, les artisans, les commerçants et les chômeurs, dans une société dont ils n’entravent que dalle. Et quand par hasard, un « basse condition », comme Elio Di Rupo, fils de mineur italien, décroche le gros lot, on le voit tout de suite prendre des allures de marquis et se mouler les fesses dans des futals de chez Arnys.
Au départ, nous les pommes, on s’est lancé dans la démocratie, comme on va à la Communale. Ces intellectuels bourgeois, nés avec l’esprit du chasseur, ont vu le blé à prendre moyennant quelques singeries. Si bien qu’aujourd’hui, ils se nomment entre eux et fixent eux-mêmes leurs arrhes. Le peuple souverain est prié de rester dans sa niche. Les michetons s’occupent de tout. D’élu, le mec est passé truand, avec les autres, les milliardaires. Ces voyous se tapent de fameux morceaux dans leur Europe, en compagnie des chers Américains. Ils font partie de la « classe politique » huppée. Les amoureux du cinoche américain aiment ça ! Que l’on refasse les élections, ils en voudront encore !
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1. Deux races de porcs européens.