Ci-gît l’amer…
J’aime beaucoup Cynthia Fleury, psychanalyste et philosophe, physiquement et intellectuellement.
Vêtue simplement et sans affectation, à cent lieues de la coquetterie des stars, à la télé c’est un beau visage de femme sans maquillage qui apparaît. Elle ressemble à Simonetta Vespucci peinte vers 1480, par Sandro Botticelli.
C’est aussi une intelligence vive de notre temps qui s’interroge sur nos chimères, nos précarités et nos échafaudages sociaux maintenant debout un artefact : la démocratie.
Cynthia Fleury est l’autrice (certains disent auteure) d’un nouvel essai « Ci-gît l’amer. Guérir du ressentiment » (Gallimard).
La question est simple. Est-ce que j’éprouve du ressentiment à l’encontre des personnages politiques qui m’irritent, dans des chroniques qui s’apparentent à des pamphlets ?
Est-ce que je déteste physiquement un Clarinval, un Bacquelaine ou un Bouchez, sinon la paire rémanente sous ma plume de MM. Charles Michel et Didier Reynders ? Physiquement, non. Ils me sont indifférents. Ce n’est que sur le plan des idées que se situe mon différend.
Ils font une politique contraire à mon éthique. Ils mentent dans leurs affirmations de bonnes gérances. Leur curieux patriotisme cache mal leur allégeance à la puissante Amérique. Ils prêchent la rigueur pour les autres et s’en dispensent. Ils n’ont aucune considération pour les gens qu’ils sont censés conduire vers un mieux être. On pourrait faire une liste longue comme un jour sans pain de mon ressenti. De ressenti au ressentiment, est-ce la pente naturelle ?
Pour Cynthia Fleury le ressentiment gagne les foules. Il s’ancre dans les cœurs et les discours. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? En quoi les ressorts du ressentiment peuvent-ils servir ou desservir la cause que l’on défend ? Quels liens tisse-t-il de nos vies avec la démocratie ? Quels sont ses antidotes ?
L’homme est un animal politique, même celui qui s’en défend. Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas élus que nous acceptons du pouvoir, la manière dont il contrôle et dirige nos existences. À titre personnel, je me démène autant sinon plus que des gens dont c’est la profession d’organiser le pays, dans lequel j’ai autant de droit qu’eux. Et je le fais gratuitement, contrairement à eux, ce qui m’en différencie. Le système électoral m’est préjudiciable puisqu’au décompte des voix, la mienne est minoritaire. Mais ils ont des moyens de propagande énormes et je n’en ai aucun ! Où est l’égalité ? Où est la justice ?
Cela m’étonnerait que ce combat quotidien ne laisse aucune trace dans les caractères, surtout quand la passion s’empare de nous.
Le terme clé de la dynamique du ressentiment est la rumination. Quelque chose qui se mâche et se remâche, avec cette amertume caractéristique d’un aliment fatigué par la mastication. (Cynthia Fleury)
La philosophe n’a rien écrit du double ressentiment, phénomène à prendre par les deux bouts. Car, si j’éprouve du ressentiment pour les modèles que je malmène à de multiples occasions, ceux-ci en ont autant à mon égard, quoiqu’eux le fassent différemment. Ne sont-ils pas au départ, des ennemis de classe qui conduisent une politique qui m’est défavorable ? Ne pourrait-on pas dire qu’ils agissent aussi par ressentiment ?
C’est le cas aux Etats-Unis. Donald Trump instrumentaliste la pulsion que ressentent les individus qui font le fond de son électorat. Celui-ci, par l’émotion victimaire que sa présence ravive, crée une tension dont le ressentiment envers l’autre camp se nourrit. Dans ces conditions, Biden aura très difficile de restaurer un sentiment de sécurisation.
Le ressentiment en démocratie influence beaucoup la vie quotidienne.
Cynthia Fleury observe que les démocraties produisent plus de ressentiment que les dictatures. « L’un des éléments centraux du ressentiment est le nivellement, le comparatisme, la rivalité mimétique. La vérité égalitaire, le fait de proposer un horizon égalitaire, spécifique à la démocratie, la rend plus fragile. »
C’est le défaut des philosophes du niveau de Cynthia Fleury malgré sa volonté apotropaïque : ils deviennent imperceptibles aux lecteurs ordinaires, à force de méticulosité. Ce ne sont pas des vulgarisateurs. Ils savent que pour être audible, le vulgarisateur a besoin de prendre parti, de défendre un camp plutôt qu’un autre et cela à l’aide de mots simples. Le diagnostic de Cynthia Fleury l’honore, mais ne nous comble pas. Le ressentiment ne fragilise pas la démocratie, puisque dans notre esprit le système imposé N’EST PAS LA DEMOCRATIE !