Qu’on allume les flambeaux !
L’art de la scène a pratiquement disparu depuis le confinement.
Est-ce pour autant que le théâtre soit mort et qu’il ne ressuscitera pas un jour ?
La question ne se pose pas, tant le théâtre est immortel puisqu’il puise dans la vraie vie, la sève qui en fait son éternelle jeunesse.
Les auteurs et les comédiens, parfois les deux en un, rongent leur frein. Le confinement a libéré la parole d’un couple sur deux dans un nouveau « Huis clos ». Mieux que la guerre de cent ans, « la guerre de Troie… » aura bien lieu. Le malheur des uns a toujours été propice aux textes des autres, dans un accommodement avec la scène qui a ainsi partagé son temps entre la comédie, la tragédie et le vaudeville enfant joyeux des deux premiers.
Il y a matière !... Si les plumes étaient toujours de mise plutôt que les claviers, on entendrait leurs grincements et l’encre couler dans les rues.
Tous les dramaturges morts, des scènes les plus modestes, aux plus célèbres, seraient sortis du tombeau cherchant les successeurs de Molière, sur des tréteaux déserts.
Ibsen et son théâtre naturaliste, comme Asmodée soulevant les toits, aurait trouvé une réplique à sa nouvelle « maison de Poupée », face à l’épidémie qui sévit aussi dans les mœurs du temps, quand deux couples sur trois ne se supportent plus.
La libération de la femme d’abord :
Nora – …il faut que je veille à m’éduquer moi-même. Et cela, tu n’es pas homme à m’y aider. Il faut que je sois seule pour le faire ; et voilà pourquoi, maintenant, je vais te quitter. (Une Maison de Poupée 1879)
Tchekhov écrivit la Cerisaie en 1904. La dernière réplique de Sacha, son héroïne, rejoint étrangement toutes les Nora de Liège qu’une contrainte étouffante plonge dans un univers réduit à 50 m², devant un homme qui se révèle tel qu’une plus large liberté ne dévoilait pas.
Sacha – Je n’en peux plus ! Laisse-moi ! Je suis perdue ! Toi, tu plaisantes, et, moi, je suis perdue ! Tu sais bien que je ne ris pas ! Adieu ! Je ne peux plus vivre avec toi ! Maintenant tout le monde te prendra pour un monstre ! Comment veux-tu que je vive ?
Mais tous les couples ne se dissolvent pas dans l’acide du confinement. Malgré tout, les revers d’argent, la monotonie des temps, une union qui ne se trouvait pas, résiste sous la contrainte et l’obligation d’une cohabitation doublement nécessaire, renforcée du revers de fortune et des dangers flottant dans la foule même masquée.
En 1918, Brecht a dû écrire « Baal » d’abord dans sa tête, un théâtre de la rébellion et du mépris de l’ordre bourgeois. 2020, l’année des masques est aussi celle où ils tombent révélant crument le monde tel qu’il est, les gouvernants tels qu’ils sont, égoïstes et menteurs. Ce bouillon de culture ne pouvait mieux trouver un nouveau point de chute, avec un PTB qui s’annonce successeur du PS. Certes des couples se déchirent, se haïssent puis s’aiment à nouveau, jusque dans la mort.
Brecht est ce voyou de Baal, François Villon et Rimbaud à la fois, qui parle de l’appétit qu’il a de la vie. Les deux acteurs véritables sont le sexe et le paysage : les « corps blancs » et le « ciel violet ». C’est le prototype de l’existence au vingtième siècle écrit un siècle plutôt.
Sophie – C’est bien d’être couchée ainsi, comme une proie, et le ciel est sur nous, et on n’est plus jamais seul.
Baal – Maintenant, de nouveau je vais t’enlever ta chemise.
D’Ionesco à Tardieu, de la « cantatrice » à « Un mot pour un autre », on galope dans le temps et passe de « L’Amant » de Pinter, à Becket qui n’est pas près de rencontrer Godot, qu’il attendra éternellement.
« La chatte sur un toit brûlant » de Tennessee Williams vit le triomphe à l’écran d’Elisabeth Taylor et Richard Burton. Mais ce fut avant un succès de théâtre. Dans les couples qui se défont au gré des lieux et des appétits, l’histoire de Brick et Margaret se scanne derrière les murs thermos de nos clapiers superposés des bords de Meuse.
Brick – Je n’ai pas l’intention de demander le divorce. Et ça me soulagerait que tu prennes un amant. Pourquoi ne me quittes-tu pas ?
Margaret – Je n’en ai aucune envie. D’ailleurs pour divorcer il faut beaucoup d’argent et tu n’as pas un sou… Tu n’as que ce que ton père te donne et ce n’est guère….
Plus de place pour Dario Fo, Koltès, Durringer, Azama et je ne cite pas des auteurs plus proches de nous dont certain(e)s, vivent à Liège et que vous connaissez.
Ceux-ci relèveront le théâtre, comme il s’est toujours relevé. Les morts en attestent.