Le retour du Huron.
Imaginons qu’un nouvel ingénu visite l’Europe et qu’un sachet frites-boulet-mayonnaise le retienne en Belgique. Nous n’aurions pas assez d’un nouveau Voltaire pour décrire son étonnement.
Il irait de bizarrerie en bizarrerie autant que son ancêtre contemporain de Louis XIV. Il ne verrait pas de grands changements entre les abus de pouvoir et la contrainte religieuse du Grand Siècle à aujourd’hui, sinon que les cafards de bénitier auraient mutés en cloportes de Mahomet.
Il se réjouirait que le Tiers État ait bouté dehors les talons rouges de l’Ancien Régime, pour s’apercevoir qu’ils ont été remplacés par des talons bleus, qui ne valent guère mieux.
Ce qu’il verrait sans doute aussi, serait l’injustice sociale hissée au rang de loi avec une administration lente, inefficace et corrompue à cause des exemples fâcheux des chefs, Privé et Public confondus !
Stupéfaction du Huron de constater que les créateurs des richesses, malgré leur nombre, sont en posture de soumission devant les patrons. Ils deviennent gauches, empruntés, l’échine basse, répondant avec l’empressement qu’ont les chiens à l’appel de leur maître. Tandis que l’autre se rengorge, parle avec assurance et se conduit comme le baron médiéval exerçant une autorité naturelle sur le vilain.
Il serait encore plus stupéfait que les créateurs tirent un maigre revenu d’un travail pénible, souvent parcellisé et sans cesse reproduit, tandis que le second les tyrannise à son bon plaisir, pour se tirer tous les mois avec un magot, sans commune mesure avec ce qu’ils gagnent.
Il apprendrait par là que le travail manuel ou intellectuel des usines et les bureaux ne vaut pas grand-chose et que le mérite officiel en revient à une poignée de gens, qui décident de tout sans prendre jamais l’avis de ceux qui les enrichissent.
L’étrangeté du gâchis de ces milliers d’intelligences sacrifiées aurait l’effet de placer le Huron du côté des révoltés, si cette hiérarchie s’établissait dans sa tribu.
Ainsi, l’intelligence du plus grand nombre supérieure au moins par holisme à tous les dominants, serait interdite d’initiative et d’invention dans la culture occidentale !
Plus étonnant encore, il apprendrait que cette multitude pousse d'autres chefs à la défendre qui ne participent pas au travail, mais à la politique ! Comme les patrons, eux aussi sont formidablement bien payés par rapport à ceux qui plongent les bras dans l’huile toute la journée ou ramassent les papiers gras devant les belles maisons, même s’ils lisent Virgile en latin ou savent des tragédies de Racine par cœur.
Ce qui aurait fait dire à l’un d’entre eux, interrogé par le Huron « Les chefs que nous élisons, contrairement aux chefs que nous n’élisons pas, défendent nos intérêts ! ».
« Mais – aurait objecté le Huron – les chefs que vous élisez vous prennent bien plus d’argent en proportion de ceux qui vous parquent dans leurs hangars à touiller leurs immondices ! »
Le Huron aurait appris ainsi que les chefs élus prétendent que la réussite de quelques-uns est nécessaire au bien général, sans pouvoir le prouver.
Poussant la curiosité plus avant, le Huron aurait découvert une troisième catégorie de chefs. Ils intercèdent auprès des deux autres pour éviter que leurs camarades ne souffrent trop. C’est là que le Huron aurait abandonné la partie.
Ainsi, le plus grand nombre a toujours tort et la minorité toujours raison. L’intelligence créditée de la même valeur partout ne l’est pas en réalité. Des subterfuges adroitement placés arrêtent les uns et promeuvent les autres. S’il faut cinq ans pour faire un bon maçon et quatre pour faire un ingénieur, ce dernier aura un salaire cinq fois supérieur au moins à l’autre.
Sur le chemin de son peuple, le Huron aurait tenté de percer le mystère de ces faux raisonnements et aurait imaginé avoir visité un univers qui place les individus dans des cases. Il serait facile de passer d’une case à l’autre dans la rangée supérieure. On y entrerait sans la possibilité d’en sortir pour toutes les autres, elles seraient à seulement deux dimensions, soit l’univers du vers à bois.
On ferait croire à la multitude que c’est la seule manière de vivre.