Vieux en 2021.
Il ne fait pas bon prendre de l’âge en ce moment. Le vieillissement, quoique dans l’ordre naturel des choses, est un signe d’affaiblissement et de dépendance guetté par toutes sortes de prédateurs et redouté dans les familles pauvres.
On est vieux quand l’esprit et le corps ne sont plus en harmonie. On rêve encore aux oiseaux et à l’amour et on est pris de vertige rien qu’à lacer ses chaussures ou au contraire, on court après une belle silhouette, le cerveau bloque sur une angoisse, a-t-on coupé le gaz en partant ? La Covid-19 accélère les processus, contrarie le jeunisme à la mode et remet en question l’entraide entre les générations.
Être vieux aujourd’hui relève de la chance d’être resté autonome, plutôt qu’avoir été « placé » dans un home par une famille qui ne pouvait ou ne voulait plus garder l’ancêtre à la maison. L’hécatombe des vieux dans les maisons d’accueil est énorme. Cette tranche d’âge en résidence aidée est pour quelques 40 % responsable des décès.
Comme il est malaisé d’attribuer au tueur l’entièreté de la tuerie, on ne peut en savoir qu’en écoutant les professionnels des établissements d’accueil qui s’inquiètent de la disparition de leurs pensionnaires et de leur manque à gagner. Dame, les candidats pensionnaires se méfient et c’est quand on ne peut faire autrement, qu’on se décide à y entrer, la mort dans l’âme.
La prédilection du coronavirus pour les vieux n’explique pas tout.
Les neuf ministres de la santé y sont aussi pour quelque chose. Depuis le début, cette crise a été mal gérée. La procédure administrative jointe aux avis contradictoires des experts était un tout insurmontable, qui, à la vue de tout le monde, n’a pas été surmonté.
Maggie De Block et David Clarinval puent l’échec, les autres sont à l’avenant.
Le dernier avatar, la vaccination, n’est qu’une suite logique de ce qui précède, un lamentable processus d’une lenteur qui tue les vieux au même rythme aujourd’hui, qu’il y a six mois.
Fin février, les plus de 80 ans attendent toujours une date de vaccination possible. On n’est pas du tout certain, qu’ils soient vaccinés fin mars, alors vous pensez, les plus de 65 ans…
Tous les ministres l’ont été, alors ça va…
Jointe à ces malheurs d’une Belgique qui paie cash sa démocratie à géométrie variable, les gazettes font état d’un déséquilibre entre « l’aisance » des vieux qui sont pensionnés à taux plein et les jeunes qui recherchent un emploi et vivent une galère au quotidien, ballottés entre l’assistanat et un travail précaire. Ils ont déjà perdu la possibilité d’une retraite à 100 %.
Comme de bien entendu, les gazettes suggèrent que ce n’est pas juste et que les jeunes pourraient la trouver saumâtre. On voit bien où elles veulent en venir : défausser de la mauvaise organisation sociale et de la crise économique le système libéral. Il est pour eux, hors de question de demander des comptes à nos mauvais gestionnaires. Il faut donc qu’une partie de leurs victimes se retourne contre une autre.
Heureusement que, jusqu’à présent, ces pousse-au-crime ne sont pas arrivés à leur fin et qu’à défaut d’une solution pour la jeunesse, ce sont encore dans la plupart des cas, les vieux qui secourent comme ils le peuvent leurs enfants et leurs petits enfants. Jusqu’à quand pourront-ils le faire ? Karine Lalieux doit se repentir d’avoir promis une pension minimale à 1500 euros net. Un nouveau Bacquelaine pourrait resurgir de la manche du président du MR et rafler tout ce qu’il peut des sous alloués à la vieillesse, pour alimenter l’usine à gaz Belgique.
Cette société est instinctivement contre ce qui est ancien. Cela fait partie de son programme économique, de ses valeurs futures. La théorie de la destruction créatrice de l’économiste Schumpeter promeut le neuf en haïssant le vieux. C’est une fuite en avant qui rejoint assez curieusement celle de la vie qui conduit à la mort. Cette société n’y coupera pas. Elle disparaîtra aussi, par sa bêtise et certainement pas de vieillesse, d’une usure prématurée.
Reste que vieillir en perdant ses vieux camarades à un âge qui leur aurait permis de faire partie du monde des vivants encore quelques années, n’est pas vieillir avec la paix en soi. C’est un drame qui aurait pu être évité.
Quoique pense le pouvoir libéral, vieillir implique des responsabilités. C’est encore profiter des années qui restent, à faire ce qu’on n’a pas fait dans une société qui ne s’intéresse ni à l’art, ni à l’humain, mais à l’homme-machine. On a sacrifié ce que l’on aurait voulu être sur l’autel de la nécessité. On peut espérer connaître enfin la liberté. C’était sans compter sur la Covid-19, l’alliée naturelle des libéraux qui euthanasie sans formulaire, ni signature.