Allô, Covid ? Ici Popof !
On savait l’administration brouillonne, tatillonne, bouffonne. Si on ajoute une dose surréaliste et une mauvaise gestion due à l’abondance des appels téléphoniques dans les centres de vaccination, on aura compris que la grève des postiers du centre de tri de Grivegnée aura été la fine gouttelette qui fait déborder le château d’eau.
Ce n’est pas mon genre de me plaindre des travailleurs qui partent en grève. Ils défendent leur condition de vie et peu importe si, en l’occurrence, elle porte sur le déménagement progressif du centre de tri de Grivegnée à Awans.
Où ça coince, c’est dans la déclaration de la RTBF qui affirme que les convocations de la vaccination seront distribuées malgré la grève, d’après les syndicats. Il n’en est rien, apparemment. C’était un fake !
Pendant treize jours, ils ont résisté. Grâce leur soit rendue. Ils n’iront pas à Awans et les Vieux rive gauche recevront le ticket Covid !
Reste quand même le parcours du combattant.
Inutile de téléphoner aux numéros de téléphone reliés d’une façon ou d’une autre à la situation Covid. Les uns ne répondent pas, les autres renvoient la patate chaude ailleurs, la plupart sont gérés par des robots qui vous disent d’une voix neutre, si c’est pour la prostate appuyez sur UN, pour les explorations du tube digestif appuyez sur DEUX, etc. Si vous avez la chance de bien appuyer sur le bon numéro et qu’enfin vous êtes dans un des services qui s’occupent de la vaccination, le téléphone sonne pendant un quart d’heure vainement et vous arrêtez l’appel excédé de la perte de temps.
Je me demande si la Belgique n’est pas en train de se transformer en un énorme gag. De temps à autre, il faut bien que l’un d’entre nous décède, d’un mauvais appel, des pompiers qui se trompent de rue ou d’un hôpital qui vous ampute, alors que vous veniez pour un mal de dents, pas question pour les autres de s’arrêter de rire de cette belle usine à gaz, à laquelle il ne manque que des pots de fleurs des écolos aux fausses fenêtres de tôle peinte.
La Covid-19, mais c’est la cerise sur le gâteau, le triomphe de tout un peuple qui d’amateur passe à professionnel d’un coup, d’un seul !
Et dire que la culture est en deuil, qu’on assassine les derniers comédiens, que les théâtres que l’on a connus et fréquentés ne rouvriront jamais, alors que nous avons onze millions d’artistes et parmi ceux-ci, brillants de mille feux, nos ayatollahs de la démocratie américaine, des partis en vogue à la standardiste qui nous dit d’appuyer sur le DEUX ou le TROIS pour se débarrasser vite fait de l’intrus. Voilà que s’affirment les stars, les grands du showbiz, nos personnels au grand destin, nos flèches politiques, tous nos inventifs du deuxième rideau et des avant-premières et des rappels à plus de douze la soirée.
Enfoncés les Chaplin, les Allen, les Coluche, nous avons des William Claude Dukenfield, dit W. C. Fields à revendre. Nos comédies sont toutes inspirées par les meilleurs. Gloria Swanson et Billy Wilder se comptent par milliers du MR au PS.
Les Marx Brothers se ridiculisent quand apparaissent Les deux Michel et Georges-Louis Bouchez, dans leurs habits de lumière, leurs facéties et leurs lazzis devant les foules croulantes de rire, mortes parfois, mais qu’on évacue par la sortie « en cas de secours » dans la discrétion.
J’aurais pu naître et mourir dans un pays sous-développé à jamais et sans aucune chance de m’en sortir, si ce n’est de monter sur un gonflable à quarante alors que sa charge maximum est de vingt-cinq et m’en aller me noyer au milieu de la Méditerranée. Merci la Providence, merci mon Dieu, je suis né et vais mourir bientôt dans la joie, l’incurie des services, la bonne humeur et cette indicible intelligence que l’on voit sur tous les visages qu’une promotion politico-administrative rassure, parce qu’ils ont été tous vaccinés en douce et sans appel à des standardistes en train de se faire les ongles.
Merci ! J’ai échappé à la misère d’une société bananière. Je vis dans un village Potemkine et je vais de piste en piste : 132 m² environ pour mes jongleries, mes amours et mes emmerdes. Quand j’ai fini de m’exhiber, dans le silence d’un public qui s’en fout, il attend ses rois du rire, je salue après mes pirouettes, tandis que les gradins ont le dos tourné et je disparais sous l’orchestre juché juste au-dessus de la sortie des artistes, derrière les riches tentures de velours, dans l’insuccès tenace de mon show.