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L’acte gratuit.

Un jeune homme que la presse flamande qualifie de « gamer » (joueur) avoue avoir tué un passant “au hasard” ; son motif “Je voulais savoir ce que cela faisait de poignarder quelqu’un” ! Cela s’est passé à Tielt, en Flandre occidentale.
Cette pulsion meurtrière n’est pas rare. Adrien Bottollier, pareil, voulait voir ce que ça faisait de tuer. C’était en 2015, à Chambéry, en France. Il a pris 25 ans de réclusion.
Au-delà des salafistes qui tuent aussi au hasard, mais eux c’est pour se mettre bien avec Allah, ces crimes gratuits « dans l’air du temps », sont de terribles hantises d’esprits tourmentés ou d’imbéciles intuitifs, vieux comme le monde.
Cela rappelle le livre d’André Gide « Les caves du Vatican ». Ouvrage étrange, difficile d’accès pour les jeunes qui ne lisent plus de nos jours, mais dont l’atmosphère particulière ne cesse de nous hanter et de me hanter, quarante ans après sa lecture.
Le pitch en deux phrases. Se rendant à Rome, Lafcadio est assis dans un train dont les portes s’ouvrent directement sur la voie. Il a pour seul compagnon de compartiment un vieux monsieur. Il vient subitement à Lafcadio une pensée saugrenue. Il lui suffirait juste d’ouvrir la porte et de pousser son compagnon de voyage en avant. Qui le verrait ? C’est sûr, on n’entendrait même pas un cri dans la nuit.
C’est ce type de raisonnement qu’a dû avoir ce jeune Flamand, sauf qu’il n’y a pas de train et que le fait de descendre dans la rue un couteau à la main, procède déjà de la préméditation, ce qui n’est pas le cas de Lafcadio.

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En partant d’un fait-divers, Richard3 déroge au principe de ses chroniques habituelles, à seule fin d’aborder la grave question de l’acte gratuit.
Un acte peut-il être purement gratuit ?
Il n’a pas de sens, ce n’est pas un crime inspiré par les fantasmagories d’un salafiste à l’esprit tordu et souvent limité, il ne présente aucun sens, ne répond à aucun critère de vengeance, de haine, de méchanceté, ou de pitié. Et pourtant le crime du jeune Flamand a lieu, corroborant la fiction de Gide d’un acte pouvant exister et existera encore dans le futur.
L’acte gratuit est-il vraiment dépourvu de toute motivation ?
L’absence de motivation d’un acte n’est jamais qu’apparente. Le « gamer » s’est bien posé une question « qu’est-ce que ça fait de tuer un homme ? » et est passé à l’acte pour obtenir la réponse, par le besoin d’agir gratuitement que l’on pourrait qualifier comme la cause même de l’acte. La volonté d’agir sans motif est déjà un motif. L’acte gratuit du jeune Flamand et de l’Afcadio n’est en réalité qu’un leurre. Il n’y a pas de gratuité ni de liberté, puisqu’il est déterminé par le désir de vouloir prouver sa liberté.
Sartre mettra d’accord André Gide et probablement le juge d’instruction chargé de l’affaire du gamer : la vraie liberté, celle qui nous confère toute notre dignité, réside dans le choix, et non dans le projet.
Ce jeune farfelu immature s’est complètement trompé. Sa gratuité n’en était pas une. La seule issue au vertige de la gratuité s’appelle l’engagement. La suite n’est que trop prévisible, une vie détruite par des années de prison, des remords possibles et un suivi psychiatrique seront les conséquences, loin d’êtres gratuites, de la pseudo-gratuité du geste.
Pour conclure cette chronique inhabituelle, pour tout autant que le lecteur ait eu la patience de la lire jusqu’ici, l’acte gratuit paraît impossible, quand on agit soi-disant sans motifs, on le fait encore pour un motif : se prouver qu’on est libre
Un acte mauvais, le meurtre l’est au-delà de tout, n’est jamais gratuit. La motivation de fait ce n’est pas pour se prouver qu’on est libre, c’est juste pour céder à la haine qu’on a en soi. Or, cette haine a bien elle aussi une cause quelque part. Cette haine se retrouve aussi chez les salafistes poussés plus par haine des autres que par amour pour Dieu.
Le raisonnement est du même ordre pour des actes bons. Toutes ces motivations cachées dans la gratuité de l’acte reposent sur des raisons psychanalytiques. Par raisonnement, l’acte gratuit paraît impossible car il nous plonge dans l’indécision constante. Le gamer et Lafcadio sont incapables de comprendre et d’argumenter sur ce point, ce qui en fait des meurtriers stupides.
L’acte gratuit dans sa totalité est impossible. Néanmoins, l’homme est « un animal métaphysique » dixit Schopenhauer, aussi à un moment donné dans nos vies, il y a toujours une heure où il faut nous décider à faire le Bien ou le Mal.

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