Jean Quatremer, 64 ans en septembre.
Vieillir n’est pas une mince affaire. C’est même, sans s'en rendre compte, la plus importante de notre vie. Ceux qui sont jeunes aujourd’hui, le seront demain. C’est peut-être parce qu’on a le sentiment qu’on va l’être, qu’on reste indulgent envers les vieux. Pourtant on a hésité et même certains sont restés farouchement pour l’égalité du droit à la vaccination, comme Jean Quatremer, journaliste spécialisé dans les questions européennes, qui se demande encore l’intérêt de confiner tout le monde, puisque les moins indispensables à la société, les vieux, étaient les plus touchés par l’épidémie. On n’arrêtait rien… on évitait la crise. Les vieux mouraient en masse, de sorte que Macron et Bacquelaine n’avaient pas à proposer des économies sur les retraites sortant des coffres de l’État.
Logique implacable de Quatremer, non dépourvue d’intérêt. Je suis sûr qu’on y a pensé en Haut-lieu.
Ce n’est même pas les anti-gérontes du gouvernement qui l’auraient envisagé, mais pratiquement les vieux installés dans la pension à quatre zéros, comme Louis Michel, 74 ans. Il pouvait se dire que dans sa position, on n’est pas vieux puisqu’on est riche et influent.
Pour une fois le grand âge est semblable à l’art fin de la politique qui est de tromper. On ne se souvient plus de ce qu’on a accompli la minute qui précède. Sauf qu’on l’admet chez quelqu’un dont le caractère sénile justifie cet oubli, alors qu’un Michel ne se souvient plus d’avoir eu une politique contre les gens de son âge, maintenant qu’il est de la corporation.
Enfin, quel aurait été le crime d’envoyer se faire tuer en maison de repos, quelqu’un qui monte les deux étages de sa maison pour prendre un objet au grenier et une fois arrivé sous les toits, se demande ce qu’il y est venu faire et redescend derechef sans l’objet dont il avait un impérieux besoin l’instant avant ?
Quand on tape sur sa machine à écrire « fromage » au lieu d’« hommage » et qu’on reste perplexe sur la fin d’un texte qui dénonçait les hommages de Joe Biden à son ami Netanyahou, en lui donnant raison de répliquer à une piqure de mouche par l’effondrement de deux immeubles et 136 morts à Gaza.
Qu’est-ce que fromage fichait là-dedans ?
À la suite de quoi, on perd le fil de l’hommage, en se concentrant sur les fromages. Encore que s’il était au figuré, on pourrait enchaîner sur la valse des enveloppes que l’on glisse sous la table, d’autant plus facilement que c’est avec l’argent du peuple. Mais non, il n’est question que de lait caillé. Chose assez fréquente chez les vieux, en écrivant « fromage » non seulement on perd Netanyahou et Jo Biden, mais on a une vision nette d’une laiterie de Cheddar, qu’on a, il y a 25 ans, visitée en Angleterre. Tout revient nettement dans la tête : le visage des gens, ce qu’ils disaient et surtout la bière bue dans un pub dont la terrasse surplombait la route de la laiterie, le visage accorte de la tenancière et jusqu’au morceau bien carré de cheddar sur une assiette avec la bière ! La couleur exacte du cheddar et jusqu’à l’ébréchure du bord l’assiette, tout y est encore !
On constate alors que la vieillesse a fait des progrès au moment où l’on relit les débuts de son texte qui parlait évidemment d’un autre sujet. Et on s’étonne de la vitesse que prend soudain la machine à vieillir dans son propre système nerveux. Il y a six mois encore on écrivait « prostition » pour « prostitution » ce qui pouvait passer pour une omission due à la rapidité des doigts sur le clavier. À présent, on se retrouve dans une laiterie, au lieu d’être sous le bureau du bureau ovale à écouter les perfidies des uns et des autres se haïssant par inclinaison et s’aimant par nécessité.
Est-ce que , comme les oiseaux de François Coppée, les vieux se cachent pour mourir ? « Oh ! comme les oiseaux doivent mourir l'hiver ! Pourtant, lorsque viendra le temps des violettes, Nous ne trouverons pas leurs délicats squelettes Dans le gazon d'avril, où nous irons courir. Est-ce que les oiseaux se cachent pour mourir ? ».
On n’en sait rien. Les délicats squelettes des plus de quatre-vingts berges, eux ne se cachent pas. Alors qu’ils devraient se faire discrets. Morts, ils encombrent davantage, il est vrai que ce n’est plus que pour huit jours. Mais, les malheureux, même morts, vont attirer l’attention de Jean Quatremer ! Pourquoi tant de cérémonie ? dirait le correspondant à Bruxelles de Caca-Information tirant encore à 90.000 exemplaires et de rappeler que l’usage de la fosse commune n’était pas une mauvaise chose dans le temps, avant qu’elle ne se soit perdue après Auschwitz.