…À se prendre la tête !
Le monde moderne a prodigieusement progressé dans ses techniques. Il est resté très en deçà dans sa capacité humaine d’évolution en harmonie avec ce qu’il a créé.
La liberté des personnes n’est pas la liberté des dividendes et n’en découle pas.
Le groupe dominant produit une idéologie légitimatrice de l’exploitation qu’il impose, les groupes dominés élaborent des utopies contestatrices, si bien que pour se faire une opinion indépendante, il faudrait qu’ils le fussent vraiment. Le peuvent-ils ?
R. Aron constate que le devenir des sociétés industrielles n’est pas soumis à une volonté consciente. Le garde-fou de cette imprévisibilité serait la démocratie à condition qu’elle ne se conduise pas en servante de l’économie.
Or, elle l’est sous la conduite d’un système politique dont les agents sont mus par des ressorts parmi lesquels gagner de l’argent n’est pas le moindre. Ainsi, ils propagent une forme d’agression dans leur position entre le capital et le social. Nos ministres, ne doivent-ils pas eux-mêmes soustraire de l’argent à quelqu’un comme de simples propriétaires ?
Les responsables politiques sont impuissants, écrit Cornélius Castoriadis en 1998. La seule chose qu’ils peuvent faire, c’est suivre le courant, c’est-à-dire appliquer la politique ultralibérale à la mode. Les socialistes n’ont pas fait autre chose, une fois revenus au pouvoir. Ce ne sont pas des politiques, mais des politiciens au sens de micropoliticiens. Des gens qui chassent les suffrages par n’importe quel moyen. Ils n’ont aucun programme. Leur but est de rester au pouvoir ou de revenir au pouvoir, et pour cela ils sont capables de tout.
Le complexe de l’argent est en soi une religion. La déchristianisation de la société n’est due qu’à cela. Nous sommes passés d’une religion à une autre.
Cette perversion atteint des sommets dans le libéralisme. Son incapacité à travailler collectivement, sous prétexte que l’épanouissement de la personnalité est un droit fondamental, tue dans l’œuf tout progrès moral. L’ingéniosité humaine ne sera pas à même d’employer les richesses matérielles des hommes au service de ceux-ci, tant que la psychopathologie de l’argent n’aura pas été reconnue et traitée.
Tout un bouleversement de l’échelle des valeurs devrait s’en suivre.
L’excédent ne peut être obtenu que par la division du travail et la division du travail tue toutes les satisfactions de l’être humain qui résulteraient de l’usage équilibré de ses facultés. Or, dans la hiérarchie des salaires, c’est celui qui a le plus à se plaindre de cette division qui est le moins bien récompensé du sacrifice inouï qu’il fait. La part de salaire qui revient à ces sacrifiés devrait être conséquente, tandis que celle qui est attribuée aux autres catégories devraient être infimes.
De fait la machine qui n’est qu’un instrument de régression systématique pour la plupart devrait au contraire enrichir de deux manières celui qui n’est que son servant, en réduisant au maximum ses heures de travail et en augmentant leur valeur.
L’idéologie libérale sert des intérêts particuliers qu’elle présente comme des intérêts universels. Elle ne peut en aucune manière intégrer la simple morale puisqu’elle légitime ces intérêts particuliers par une intégration fictive de la société dans son ensemble, ce qui lui permet de dissimuler parmi les autres, la classe dominante propriétaire.
Le pouvoir est une matière première comme les autres et elle doit être traitée comme telle et revenir dans les mains du plus grand nombre. La représentativité en ce qu’elle n’est qu’une délégation ne dilue pas le pouvoir au bénéfice de la Nation, mais le concentre, au contraire sous prétexte d’efficacité, sur des groupes ou individus qui se l’approprient à des fins personnelles.
Un moment d’abstraction n’est pas sans intérêt l’année où la dictature de l’argent semble hésiter entre démocratie et oligarchie. Les libéraux iront jusqu’à risquer leur propre anéantissement plutôt que d’abandonner toute portion significative de leurs avantages. La susceptibilité des pauvres à l’égard de l’injustice n’est rien comparée à celle des riches sur leur droit à la propriété.
Si les changements en économie ne se produisent qu’avec les changements de génération, espérons que celle qui vient sera moins assotée des lieux communs de nos universités.
Cette chronique ne pouvait mieux trouver son épilogue que dans cette pensée de Paul Valéry « Nous vivons bien à l’aise, chacun dans son absurdité, comme poisson dans l’eau, et nous ne percevons jamais que par un accident tout ce que contient de stupidités l’existence d’une personne raisonnable. Nous ne pensons jamais que ce que nous pensons nous cache de ce que nous sommes. »
Désormais, le libéralisme ne cache plus grand-chose. De naïfs un peu niais, ses adeptes sont en train de passer parfaits salauds.