La loi de Godwin.
L’écrivain suédois Carl-Henning Wijkmark (1934-2020) a écrit en 1978 « Den moderna döden », publié en français (La mort moderne) en 2020 par Rivage.
Juste avant de mourir en mai 2020, l’auteur écrivit une postface. Il fait un parallèle entre sa fiction qui décrit un monde utopique sombre et la pandémie du Covid-19, telle qu'elle fut traitée en Suède. Selon lui, on aurait dû faire passer la vie humaine avant l'économie.
Le roman évoque un colloque sur un projet de loi visant à limiter l'âge de la mort à 70 ans et à recycler le corps humain pour en livrer ses meilleurs morceaux à l'industrie.
On ne sait pas jusqu’où pourraient aller certains pour sauver l’économie libérale, telle qu’elle nous est vendue en modèle ! Parmi les candidats à la monstruosité, d’enthousiastes délirants de la trempe d’un Georges-Louis Bouchez ou d’un Bart De Wever (quoique le second soit moins dangereux) pourraient entrer dans l’Histoire, modernes Caligula.
Résumé, le roman est plus effrayant encore.
Un colloque secret d’experts envisage de légiférer sur la fin de vie. Les politiciens lâches s’en remettent à eux en ce qui concerne la science. Ils ordonnent alors qu’on impose la mort à 70 ans, pour tous les citoyens !…
Ce livre met en garde contre l’utilitarisme en matière de santé. Il se révèle prémonitoire quand on assiste aux excès autour du pass et des atteintes à la liberté des gens, au nom d’une défense de l’intérêt de tous contre « l’égoïsme » des réfractaires du vaccin.
Dans la fiction, les noms ont des consonances suédoises, mais on pourrait facilement les belgifier. Les personnages de Wijkmark sont universels.
Dans la fiction, Bert Persson, du ministère des Affaires sociales, présente l’enjeu de la rencontre : échanger sur le PTEH, Phase Terminale de l’être humain, rassemblant des théologiens, philosophes, sociologues, biologistes et chimistes dans le but de réfléchir aux vies qui ne « valent » pas d’être vécues d’un point de vue économique. Le roman imagine ce qui peut se passer quand on réfléchit de façon utilitariste au coût de la vie d’une collectivité.
Dès qu’on envisage d’éliminer les moins productifs, les plus nuisibles, on les humilie d’abord à accepter n’importe quel boulot, à leur refuser le pain quotidien en usant des règlements des CPAS et surtout en laissant les pensions basses en-dessous de 1000 €, sachant qu’on ne saurait vivre ainsi sans procéder à des expédients ou a des infamies. Le point Godwin (1) n’est pas loin. Wijkmark s’amuse à forcer le trait dans cette phase critique où la démocratie perd sa valeur morale à force de complaisances à la société marchande. Et on y est presque, puisque selon Bouchez et ses petits camarades, l’État ne doit pas concurrencer le privé et pour ce faire, rien de tel que le privatiser. C’est ainsi que nous avons perdu sur cette idée et cela bien avant le Covid, des enseignants par milliers sous Onkelinx et des formes sociales de solidarité sous Charles Michel, dont des coupes sombres dans les hôpitaux publics et le maintien du numerus clausus. Le leitmotiv est là : dépenser le moins possible, traquer l’indigence. Sans oublier le chemin de croix pour les pensionnés, jusqu’à leur crucifixion. Le but général étant de rogner sur le capital social pour nourrir jusqu’à l’indigestion, le capital tout court.
Les participants au colloque en viennent à la question clé : comment trouver la manière la moins inhumaine de supprimer les improductifs ? Ils cherchent une façon légitime à dépenser moins pour les personnes finissant leur vie, donc ne pas payer soin et retraite. D’où l’idée de supprimer toute personne atteignant 70 ans pour récupérer rapidement son capital et cesser de verser des pensions. « Il nous faut à tout prix empêcher une fuite des cadavres en direction de l’étranger et on ne peut y parvenir sans avoir recours à une certaine contrainte », s’exclame le modérateur du colloque. Il faudra veiller à retirer leur passeport à toutes les personnes malades et décrépites, en créant des médecins des douanes qui ausculteront et, en cas de besoin, retiendront aux frontières, les voyageurs suspects en partance pour l’étranger.
Le ton froid et neutre employé par les orateurs du colloque fait penser aux scientifiques chargés de nous sauver du Covid. Personne n’est dans la surenchère, le cynisme ou la violence. Il s’agit « juste » d’experts et de bureaucrates qui trouvent que le politique ne va pas du tout assez loin et qu’il faut pousser au maximum les bonnes idées pour le bien commun. Le livre fait écho à notre situation de pandémie qui pousse certains à se demander, s’il vaut mieux laisser mourir les vieux du virus pour donner plus de perspectives aux jeunes.
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1. La loi de Godwin est une loi empirique énoncée en 1990 par Mike Godwin, d'abord relative au réseau Usenet, puis étendue à Internet : « Plus une discussion en ligne dure, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler est grande. » Dans un débat, atteindre le point de Godwin revient à signifier à son interlocuteur qu'il vient de se discréditer. (Wikipédia)