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Le bal des salauds !

Un génie est un génie. C’est idiot cette phrase, pourtant elle porte une vérité absolue. Celui qu’elle désigne est innommable puisque nul n’est en mesure de le percer à jour. On le désigne le plus souvent par un nom, malgré tout. Ce bas monde a besoin d’étiqueter tout. Non pas par commodité, mais parce que toute étiquette est susceptible d’enrichir celui qui en est pourvu.
Si quelqu’un avait eu l’idée de recueillir les selles de Picasso au Bateau-Lavoir, elles vaudraient des fortunes aujourd’hui.
Ce génie peut être un parfait salaud ou un ange. Qu’importe, à part la respectabilité, il y a concordance. Le parfait salaud est quelqu’un aujourd’hui qui a écrit ou dit des horreurs sur les Juifs. Les autres salauds qui détestent les Noirs, abominent les femmes ou prennent des milliards dans des combines infâmes au détriment des peuples qui crèvent de faim ou meurent dans les usines, ne sont pas des salauds aussi unanimement montrés du doigt et mondialement réprouvés que les racistes à l’égard des Juifs.
Au-dessus du parfait salaud, il y enfin le salaud-écrivain de génie. C’est le pire. Non seulement il a écrit des horreurs, surtout sur les Juifs, mais en plus son génie le condamne à être immortel, donc décrié, haï, conspué cent ans après sa mort et même davantage, tant la haine qui le poursuit ne s’éteindra que lorsque toute la jeunesse sera tout à fait inculte, ce qui ne saurait tarder.
À côté de choses écrites impardonnables, il y a embusquée derrière les tombes des collabos, une nouvelle espèce dite salafiste qui inquiète par son côté revanchard du martyr palestinien. Ces nouveaux salauds entrent en forte concurrence avec les salauds nazis antisémites. Voilà qui perturbe les propriétaires d’étiquettes « salaud », les disperse en quelque sorte, si bien que cela relâche l’attention sur le génie-salaud.
C’est peut-être une coïncidence, mais d’avoir retrouvé les manuscrits de Louis-Ferdinand Céline « volés » par les F(i)FI en 44, dans les mains d’un ancien journaliste à Libération, Jean-Pierre Thibaudat, qui les détenait depuis quinze ans, donne l’espoir d’une édition des inédits rapidement. Je ne pardonne pas à Thibaudat d’avoir gardé sous le coude pendant si longtemps un pareil trésor pour lui seul. Je pense à tous les lecteurs de Céline qui sont morts durant ces années et j’adresse une demande expresse à Gallimard pour accélérer les choses, afin de ne pas alourdir la liste des non-lecteurs involontaires.

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Ce trésor retrouvé pour la grandeur des lettres sera aussi l’occasion de s’apercevoir que le lecteur de Libération qui lui avait remis gracieusement les manuscrits, à condition de ne pas les rendre publics avant la mort de la veuve de Céline, afin de ne pas l’enrichir, alors qu’elle avait à l’époque 93 ans environ, est dans le genre, un autre petit salaud, à moins que Thibaudat n’ait raconté des craques, comme en sont capables la plupart de ses confrères.
Non, tout n’est pas bien qui finit bien.
Ne pas avoir compris qu’on manipule les haines, comme on manipule les peurs et qu’ainsi on cache des choses si hautement importantes, pour la conservation de la haine comme on entretient un feu de braises, est à proprement parler une manifestation de la bêtise humaine.
Les plus attachés à l’argent ne percevront que le côté abominable de ces deux valises laissées des années dans une cave, lentement gagnées par l’humidité et la moisissure, alors que leur contenu vaut au bas mot et dans une estimation à la louche, plus de quarante millions d’euros. Parce qu’eux, ils s’en ficheraient bien que cet argent fût le fruit des cogitations d’un salaud ! S’ils en avaient été les légataires, cela ne les eût pas empêchés sur le green ou en courses à la voile en Méditerranée, d’abominer avec autant de ferveur la mémoire de leur bienfaiteur.
Reste que le fabuleux « Casse-pipe » de cent pages, dont pas un mot n’est de trop ou à retrancher, est devenu l’avant-coureur d’un pavé de six cents pages, me fait éprouver une impatience profonde, celle d’attendre – pas trop longtemps j’espère – l’œuvre complète.
Et son incipit « C’était le brigadier Le Meheu qui tenait le fond du corps de garde, les coudes sur la table, contre l’abat-jour. Il ronflait. » de chrysalide qu’il devienne papillon, sans en métamorphoser une ligne !

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