Jusqu’où ira Zemmour ?
Que se passe-t-il dans la tête d’un électeur de gauche pas très au top de l’actualité qui écoute une musique de droite ? Par exemple le babillage savant d’un Eric Zemmour ? (Je passe évidemment sur le mirliflore Georges-Louis Bouchez, hâbleur à l’argument VRP auto et accessoires). Eh bien ! l’électeur est troublé.
Troublé parce que Zemmour ne balance pas que des paroles en l’air. Il y a en effet un phénomène de civilisation dû essentiellement à la transhumance intercontinentale ciblant l’Europe que Zemmour a perçu et dont il décrit justement le processus.
L’électeur de gauche, séduit par le raisonnement civilisationnel, risque de tout accepter de l’homme de droite : l’analyse des Gilets Jaunes, le machisme, le mépris des femmes, les raccourcis de l’Histoire en faveur de l’Empire et l’espoir qu’après Macron, ce sera lui.
Si après ce premier bain, notre électeur de gauche se branche sur la RTBF, qu’il s’endort aux voix de François de Brigode et Nathalie Maleux et, se réveillant en sursaut, tombe, sur Deborsu et Christophe Giltay sur la télé concurrente, son avenir est tout tracé. Il se persuadera que le gouvernement belge fait du bon travail. Il ne restera plus qu’à trouver un Zemmour bruxellois.
La limite de plasticité de son idée de la « gauche » est atteinte. Ça le marque d’autant qu’il pourrait percevoir la grossièreté de la manœuvre, s’il s’en donnait la peine. On lui sert un tel paquet de bonnes et de mauvaises réponses que cela devrait le mettre en alerte.
Or l’électeur de gauche, déstabilisé par tous ces branleurs, a sa dignité à défendre. Il n’est pas que raisonnable : humaniste et bienveillant également. Qu’on lui fasse des bruits de trompette dès le matin n’entre pas dans les attentes de son image de soi. À plus forte raison s’il perçoit le metteur en scène des pitreries derrière ces apôtres du bien-dire qui l’invite à une tournée générale de la pensée unique.
Car le point commun entre Macron et Zemmour est qu’ils réfutent à l’avance les arguments des autres. En un mot, l’un et l’autre nous prennent pour des êtres falots incapables de penser par nous-mêmes.
Cette déclinaison que chacun à son mot à dire est la cible de l’offensive de CNews, bien que Zemmour y joue la vedette. Elle est de trop pour le pouvoir conservateur.
Nous sommes en période de crises au pluriel. On les sent partout, de la pandémie aux caprices de la nature, l’infiltration de l’Islam religieux, la pauvreté généralisée et tout le reste.
Une écrasante fatalité pèse sur les analyses. Rien ne semble pouvoir arrêter rien. La course au désastre est comme inexorable, tous les freins, en tout cas ceux qu’on s’imaginait tels, sautent les uns après les autres. Et voilà qu’hier le CSA décompte les temps de paroles de Zemmour alors qu’il n’est pas encore candidat à la présidentielle ! Et là Macron commet une erreur. Le CSA touche à la liberté d’expression pour servir les intérêts du pouvoir avec un Macron déjà en campagne ! On victimise Zemmour, donc on le sacralise.
La presse à la botte fait la sourde oreille. Nathalie Saint-Cricq ne connait personne au nom de Zemmour. Le CSA est un havre qui revendique la paix chez soi. Nos illustres y sont compétents, beaux et efficaces. On y a résolu la lutte civilisationnelle entre l’Orient et l’occident en donnant raison à la tendance Woke. L’état d'esprit militant et combatif en faveur de la protection des minorités et contre le racisme est en harmonie avec la tendance des démocraties à se confondre en excuses partout et pour tout. Justement, Woke déboulonne les statues des grands hommes du passé.
Revoilà Zemmour qui est contre Woke et le fait savoir, alors que l’électeur, à l’opinion vacillante de gauche, fait des efforts pour éviter de sombrer dans le zemmourisme et que Zemour a fichtrement raison de dénigrer Woke.
L’effet de trois décennies de déréliction néolibérale, du refus forcené de donner la parole à quoi que ce soit de gauche — autrement qu’à la manière du parti socialiste — c’est le genre de situation qui a permis l’essor de Marine Le Pen. Le tour de Zemmour semble venu. Cela ne traversera pas un instant les cerveaux dans les rédactions, pas plus que ne leur viendra la première interrogation sur la période que nous vivons. Ils ne pensent qu’à sauver l’argenterie, à défaut ce qui brille, par exemple Macron, sans être le roi soleil.
Lutter contre les anneaux d’un python genre « Gros câlin » de Garry, suppose de se mettre en travers du courant général. Georges-Louis nous a empapouaté, pourquoi pas Zemmour ?
Le raisonnement du politologue Pascal Delwit triomphe. L’électeur de gauche est fait comme un rat !