Crime et châtiment.
Quel sentiment autre que la colère, quant à deux mille kilomètres à peine de nous, des immeubles sont soufflés par la dernière invention de guerre « non encore égalée par les chercheurs américains », et que des femmes et des enfants courent dans la rue, dans l’égarement total d’une peur innommable.
L’image suivante, on voit Poutine recevoir un ambassadeur israélien venu quémander un peu d’indulgence, s’asseyant devant la caméra. Le sourire aux lèvres de Poutine est absolument indécent.
La colère se sent vivante et forte parce qu’elle se croit juste. Elle semble être l’incarnation du droit et de la raison. De la même manière de l’amour qui n’existe que dans la conviction qu’il a raison d’aimer.
Dans cette folie au sein de l’Europe, celui qui décide que les objectifs sont principalement des immeubles à appartements, des théâtres et des centres commerciaux est chez lui au centre d’un stade où 85.000 personnes agitent des drapeaux à chaque énumération de ses crimes qui pour eux sont de grandes victoires d’un patriotisme absolu.
Aurais-je perdu la raison ? Serais-je le seul à trouver cela d’une incroyable perversité ?
Ici, il ne s’agit pas d’une interprétation des faits. Pourquoi des immeubles s’écroulent-ils soudain, ensevelissant avec eux leurs locataires, parce qu’un pilote a reçu des instructions d’un intermédiaire entre lui exécutant et Poutine.
Par quelque bout que l’on reprenne ces images, on en revient toujours à la même conclusion justifiant la même haine.
Du côté des spectateurs, on tombe fatalement sur un général à la retraite qui nous explique que la bombe supersonique est inarrêtable à l’heure actuelle. Images à l’appui, le chasseur bombardier lance un gros tube qui semble hésiter à se métamorphoser en bolide ; mais dès qu’il perd le couvercle du fond, à peine allumée une lumière bleuâtre propulse l’engin à des vitesses extrêmes, sûr de lui, ne se fiant plus qu’à son flair il va droit sur son objectif qu’il embrase aussitôt.
Le démiurge de ces explosions si puissantes qu’elles ravagent d’un coup une barre de douze étages sur cinquante appartements de large, reste tranquillement assis à son bureau, tandis qu’il énumère les crimes des nazis de la seconde guerre mondiale à nos jours.
De quoi parle-ton ? De la bombe supersonique ou d’un milliers de néonazis restés parmi la population résistante, comme les citoyens ordinaires à Marioupol ou d’un massacre organisé par une Russie qui étale ses divisions blindées se prenant pour l’armée de Rommel croyant dévaster Stalingrad ?
Une haine vivace ne se laisse pas si facilement distraire, tant elle est profonde et déterminée. Qu’importe le fâcheux souvenir, nous eûmes Léon Degrelle qui oserait prétendre que tous les habitants de Bouillon étaient nazis en 1940 ?
Mais les réseaux sociaux n’ont pas tant de subtilité d’esprit. Voilà tellement longtemps que le sensationnel tient lieu de tout, que quelques dizaines de propagateurs de fausses nouvelles vont s’entendre du bien fondé de la vision même de l’assassin du Kremlin, sur le nazisme revivifié par la pensée même de Zelensky.
Que cet argument soit repris à un nouveau procès de Nürnberg par des avocats à court de justificatif des pensées de l’assassin Poutine, génocidaire professionnel et présenté aux assises d’une Cour internationale, se conçoit sans peine ; mais que des malveillants s’emparent de la chose au même titre que d’autres étaient absolument convaincus que Brigitte Macron fût un homme, dépassent l’entendement d’un citoyen ordinaire.
Le plus délicat dans une haine profonde, c’est qu’elle assimile parfois, par-delà l’assassin, à son entourage, les conscrits et leurs familles, tout un ensemble acclamant le « Z » peint en grand sur le convoi de canons et de tanks et le reste du peuple russe, peu au courant des faits, parfois complètement abusé par la télévision d’État, les radios d’État, les journaux d’État.
La haine a besoin d’être raisonnée et conduite aussi dans les labyrinthes d’une conscience qui dévoile tout et son contraire.
Je ne vais pourtant pas haïr, le despote atrabilaire vieillard dont on guette un probable Alzheimer, avec ces jeunes magnifiques soldats, dans leurs beaux uniformes du temps de Nicolas II qui ouvrent les portes à deux battants du kremlin, devant le nouveau tsar.
Et puis, tout compte fait, serais-je capable d’aller jusqu’au bout et d’étrangler de mes mains ce monstre, au nom de la multitude d’innocents qu’il fait immoler tous les jours par ses troupes ?
Et c’est là qu’on retrouve l’expérience faite en Amérique sur le pouvoir de pousser sur un bouton ou d’étrangler de ses propres mains, pour le même résultat : la mort d’un assassin dont on ne connaît rien, sinon qu’il a à son tableau de chasse des milliers, peut-être des millions de victimes !
Assurément, je ne pourrais pas pousser sur le bouton fatal, ce serait m’abaisser au geste du pilote poussant sur le bouton de la fusée supersonique. Quant à l’étrangler de mes propres mains… Rodion Romanovitch Raskolnikov du roman de Fiodor Dostoïevski, Crime et Châtiment, avait quand même une hache entre lui et sa logeuse. Il n’est pas certain qu’il l’eût étranglée de ses mains. Je suis même persuadé du contraire.