Mes gages.
Dans un passé récent, nous avions déjà ressenti une frustration lors d’un grand événement qui submerge les autres en les rendant insignifiants.
Le Covid-19 avait été celui-là. En France comme en Belgique, ce fut l’occasion pour le pouvoir de dissimuler derrière la pandémie tout ce qui avait été raté et tout ce qui n’avait pas été fait sous les gouvernements Macron et Michel.
La démocratie avait été mise entre parenthèse souvent d’un commun accord entre le pouvoir et l’opposition. L’opinion est oublieuse. Il aura suffi dans les derniers mois de la pandémie que les dirigeants fassent montre d’un zèle prophylactique pour s’approprier la gloire d’en être venu à bout. Toutes les failles, les manquements dans l’essentiel comme les masques et l’état misérable dans lequel le monde libéral avait mis les hôpitaux, étaient oubliés.
Les gouvernements lâchaient du lest, abrogeaient les mesures en bon père de famille. Tout cela avec lenteur, pour faire durer cet instant de gloire d’avoir vaincu l’innommable. Car, derrière, remontait déjà les rancœurs entre une représentation du peuple hors sol et le peuple lui-même, définitivement fâché contre une pseudo démocratie, qu’on le prît toujours pour un enfant.
Les socialistes en Belgique, en principe entrés dans le gouvernement et effrayés de ne pas encore en être sortis, titillaient De Croo et l’aile libérale. En France, saillaient des discours d’Éric Zemmour et les désistements du RN en sa faveur. Une partie des électeurs réclamait avec lui une France sécurisée et un arrêt des flux migratoires.
Macron allait devoir descendre dans l’arène s’affirmer candidat et débattre sur son bilan, très mince, puisque le maître mot était la lutte sans merci contre un virus en liberté depuis deux ans !
Vaille que vaille, traînant les pieds, hésitant encore sur des mesures tenaces à faire disparaître, sans doute à cause de leur inefficacité, les gouvernements résignés s’apprêtaient à rendre la priorité aux préoccupations de base : la confrontation dans la mauvaise foi des parties. Un retour à la case départ tournait au cauchemar.
Mais attention, le tout avec le langage de pouvoir de la bienpensance, dans une Europe bien libérale, bien profondément atlantiste et mondialiste. Nous nous apprêtions donc à retourner dans ce système clos et socialement imposé, à défaut de quoi, nous allions revenir aux duretés du libéralisme, risquer la mort sociale en voulant nous en émanciper.
Coup de tonnerre, un autre fléau simultanément à la décroissance du premier, reprenait en quelques jours la place perdue par le Covid.
Un fou quelque part au kremlin faisait ses nerfs sur une république contigüe. Un instant inquiet par la proximité du conflit, Biden-l’endormi donnait un feu vert à Poutine pour y parader ses tanks et s’exercer sur des objectifs réels à la fusée et au canon.
Mais ce peuple envahi s’insurge, se révèle fort et courageux et nous voilà sous le charme.
Les gazettes en manque de Covid voient immédiatement le parti à prendre. Les Autorités, à peine résignées à suivre le chemin des bilans et des comptes d’une période creuse sur laquelle elles n’avaient pas grand-chose à dire, se réveillent, s’activent et se retrouvent meilleures qu’avec le Covid !
En instance de mort cérébrale, l’OTAN se secoue, compte ses ogives nucléaires. L’Europe de chose informe montre sa capacité à rebondir en s’appuyant sur les circonstances. L’Allemagne que l’on croyait définitivement écœurée des armées au pas de l’oie, met cent milliards d’euros dans ses capacités de défense. Le pusillanime Alexander De Croo donne cinq mille mitrailleuses de la FN au gouvernement ukrainien. L’industrie de l’armement reprend de la couleur. On se dispute d’un état à l’autre l’ingéniosité des sanctions. Même Biden pourtant l’esprit à Formose, voit le parti qu’il pourrait prendre en redevenant le chef de cette coalition spontanée. Il interdit à la flotte commerciale russe le ciel des États-Unis. Voilà la Russie plus bas que terre dans l’opinion mondiale !
On retombe dans le doux ronron de la crise du Covid. L’intérêt n’est pas le même, le long terme dans cette guerre n’existe probablement pas, qu’importe : aider l’Ukraine fait chaud au cœur et empêche de penser à autre chose. On gagnera ce qu’on gagnera, une semaine sur un dépôt de bilan, c’est toujours ça !
Et nous dans tout cela ? Outre notre générosité et le cœur sur la main pour accueillir plus infortunés que nous, comment nous resituer dans les affaires de cette démocratie qui n’a jamais cessé de se refermer comme un piège éternel ?
Le don Juan de Molière a pour mot de la fin, le nôtre !
Quand son maître en touchant la main du Commandeur prend l’express pour les Enfers, Sganarelle n’a qu’un mot, mais qui veut tout dire « Mes gages » !
Hé, oui, mes gages ! Que deviennent-ils d’un événement à l’autre ? Combien de temps les Ukrainiens mettront-ils pour toucher la main d’un autre Commandeur : Poutine ?
On sait que la personnalité de Sganarelle de Molière est toute négative ; qu’il se laisse par lâcheté ballotté au gré des caprices des autres et des situations où le met la malignité du destin.
C’est notre portrait collectif tout craché !
Qu’est-ce que vous voulez, ne touchons-nous pas à l’essentiel : Sganarelle, c’est nous !