Quoi ! la vie bonhomme.
La vie en société est un théâtre où nous sommes en représentation… tous plus ou moins des comédiens. Nous mentons avec un certain talent… sauf quelques acteurs professionnels, aurait ajouté perfidement le divin Sacha Guitry.
Le théâtre social nous apprend vite à tricher sur ce que nous sommes, d’où nous venons, les études que nous avons faites et la manière adroite avec laquelle nous nous sommes insérés dans la vie active et dans la vie amoureuse.
Nous extrapolons sur nous, que nous ne connaîtrons jamais, dans les jugements que nous portons sur nous-mêmes.
C’est une supplication de la plus haute antiquité que celle de se connaître soi-même. Personne n’y est, semble-t-il, jamais arrivé, même pas Platon qui fut sa vie durant l’amoureux jaloux de Socrate, sans jamais pouvoir l’égaler.
Nous pratiquons l’hypocrisie sans le savoir. Nous sommes tous des hypocrites à plus ou moins différents degrés, naturellement. La plupart pensent que si la vie ne vaut pas cher, la créature non plus, sauf quelques bonimenteurs dont les professions élèvent au plus haut la créature par rapport à la vie, dans le but de rendre plus confortable les leurs.
Nous sommes assujettis à un système qui conditionne notre manière d’être, voués à des comportements qui sont autant de normes à ne pas dépasser sans risques. Nos amours sont souvent des prises d’intérêt sur autrui qui se révèlent parfois de mauvais calculs dus au phénomène récurrent de la durée, une sorte de machine à user les sentiments.
Jacques Lacan a très bien résumé ce chapitre en une phrase lapidaire « L’amour, c’est donner ce que l’on n’a pas, à quelqu’un qui n’en veut pas. »
Plus l’homme croit aux grands sentiments, moins il en crédite les autres, par une sorte de complaisance à soi qui pousse à la sainteté dont il se croit naturellement empreint, jusqu’au plus profond de sa versatilité.
Une récente interview de GL Bouchez en dit plus long sur le personnage qu’une psychanalyse de dix ans. Laudateur de Louis Michel, il le pare de toutes les vertus. Ce ne sera jamais qu’un second qui veut passer premier par excès de zèle. Dans la carrière de son modèle, on y retrouve toutes les souplesses et toutes les vilenies dont cet homme politique a été capable pour se hisser là où il est, pour la postérité. Quoique postérité soit un bien grand mot pour un personnage qui ne sut se départir du médiocre, que dans l’hypocrisie où il égale les plus grands.
La reconnaissance des bienfaits dont on a profité est l’étalage Potemkine pour leurrer le bienfaiteur qui eut l’imprudence de faire un obligé. À n’en pas douter, les Michel n’ont de pire ennemi que celui qui les encense.
Le bonheur personnel ne s’épanouit pas nécessairement dans une société réussie et égalitaire, mais dans une société quelconque, même épouvantable, dans laquelle nous sommes au-dessus du médiocre par une naissance favorable ou une chance saisie de s’élever au détriment des autres.
La différence entre un drogué criminel et un bourgeois de mœurs austère est infime. Il suffit parfois d’un costume, d’une aisance naturelle à mentir avec sincérité, d’un instinct du convenu, pour tromper l’esprit le plus fin.
Certes le monde est peuplé d’esprits lourds et de naïfs complets, mais ce serait une erreur de croire cette majorité exempte de tout mensonges et de tout vices. Dutroux est l’exemple même d’une naïveté détournée qu’il illustra d’une inventivité criminelle peu commune. Son bricolage servant de matériel à ses crimes, en a fait un pervers à bas prix, tête de gondole d’un commerce disputant le crime à la vertu.
Cette société, de laquelle il est impérieux d’imiter ses mœurs et ses activités libérales sous peine de mort sociale, est l’illustration type d’une oligarchie peuplée des mêmes attributaires et des mêmes tributaires remontant au Moyen-âge. On s’est habitué à la nommer une démocratie et de la parer des vertus qui sont autant de contraires à la réalité.
Elle provient de ce qui fut l’Ancien Régime. Celui-ci avait au moins le mérite de la franchise en plaçant la noblesse au-dessus du Tiers-état, mettant le peuple dans une situation d’antagonisme permanent. En faisant croire à l’amalgame découlant de l’égalité des chances, cette oligarchie n’est rien d’autre que l’ancienne, avec d’autres mots pour la désigner, en réalité bien plus dangereuse et perverse, puisque perpétrant ses coups dans la dissimulation de ce qu’elle est.
Plus une société à la prétention d’être égalitaire, plus il faut se garder du piège qu’elle nous tend de ses mensonges pour nous faire croire à ce qu’elle n’est pas, exactement comme nous qui mentons pour raisons personnelles.