L’Homme va toujours au bout de son pouvoir.
En géopolitique, quand les experts se livrent à des spéculations souvent contradictoires sur les puissances en présence, les cafés du Commerce poursuivent, vaille que vaille, la tradition de rassembler quelques consommateurs qui s’ingénient à refaire le monde vu d’en bas.
Certes, ils ne sont pas légion, la jeune génération a d’autres centres d’intérêt, mais ils ne sont pas morts. Dans certains grands centres, des cafés philo se sont reconvertis en discussions critiques sur l’air du temps. Ils renouent avec l’ancienne tradition de la dispute politique.
À propos de Joe Biden et de son homologue chinois Xi Jin Ping, le principal conseiller diplomatique du président américain, Jake Sullivan, prétend savoir qu’ils se rencontreront dans les prochaines semaines.
Dans le récit « La Guerre du Péloponnèse » l’historien athénien Thucydide (460 av. JC à 400 av. JC) décrit la guerre que mena Sparte contre Athènes. La similitude semble être parfaite entre le conflit, pour le moment d’intérêts commerciaux de ces deux grandes puissances et le conflit décrit par Thucydide, si l’on considère que dans le monde Ancien, Athènes et Sparte étaient les deux grandes puissances « mondiales » face à face.
Pour ces deux conflits qui ont entre eux 2650 ans d’intervalle, il s’agit, au départ, d’un banal duel pour prendre l’ascendant de l’un sur l’autre.
Thucydide s’en tient à décrire les aléas d’un pur rapport de force. Les relations entre les Cités ennemies se réduisent à une volonté réciproque de domination.
Son récit est éclairant « La justice n’entre en ligne de compte dans le raisonnement des hommes que si les forces sont égales de part et d’autres ; dans le cas contraire, les forts exercent leur pouvoir et les faibles doivent leur céder ».
On transpose le conflit Américano-Chinois à l’Europe dans celui qui oppose l’Ukraine à la Russie, on sent bien que le raisonnement de Poutine remonte à la Grèce Ancienne. « J’envahis l’Ukraine parce que je suis le plus fort ». Même si exactement comme dans le conflit de Sparte contre Athènes, les rapports de force peuvent s’inverser. Ce fut le cas d’Athènes. Après un long esclavage, elle finit par briser ses chaînes.
Thucydide précise sa pensée « Les dieux, d’après notre opinion, et les hommes, d’après notre connaissance des réalités, tendent, selon une nécessité de leur nature, à la domination partout où leurs forces prévalent. Ce n’est pas nous qui avons établi cette loi et nous ne sommes pas non plus les premiers à l’appliquer. Elle était en pratique avant nous ; elle subsistera à jamais après nous. Nous en profitons, bien convaincus que vous, comme les autres, si vous aviez notre puissance, ne vous comporteriez pas autrement. ».
Thucydide est bien le précurseur de la realpolitik des temps modernes.
« Les événements ne doivent rien au hasard ou a quelque intervention divine ; ils sont la conséquences des lois générales, quasi physiques, qui gouvernent le monde et que l’intelligence humaine doit saisir, pour les exploiter, sans pouvoir les changer » (Xavier Darcos in Revue des Deux mondes.)
De fait, la politique de l’Europe, vis-à-vis des USA est claire, c’est celle d’un peuple vassalisé qui paie un tribut annuel en foi de quoi il est protégé. Ce tribut peut aussi bien être la cession d’une grande industrie de pointe au protecteur, comme Alsthom ou une obligation de s’équiper en F35, comme l’ont fait la Hollande, la Belgique et l’Allemagne et bien d’autres encore, laissant dans les cartons un avion européen.
Ce rapport de force entre les USA et la Chine est en équilibre instable. Les USA dominent encore, mais d’un rien qui le font hésiter entre une guerre et une paix en attente d’une guerre. Un autre rapporte de force est en train de monter entre Russes et Chinois. La folle équipée de Poutine en Ukraine l’a déforcé face à son grand allié Xi Jin Ping. Ce dernier, avec l’Inde, sont ses seuls clients. Actuellement des milliers de Chinois obtiennent des visas pour « travailler » dans les territoires russes bordant le fleuve Amour, cette frontière naturelle avec la Chine. C’est à peu près la même politique que celle des pays du Maghreb par rapport à la France, que joue Xi Jin ping. La France héberge depuis de nombreuses années des entités humaines étrangères, finalement intégrées et nationalisées, tout en conservant les mœurs et coutumes des pays d’origine, sans que l’on puisse considérer cela comme un aboutissement à une double culture. C’est tout simplement l’implantation d’une contre-culture.
D’après l’œuvre de Thucydide, la France en ne jouant pas sur son rapport de force, commet la même erreur qu’Athènes vis-à-vis de Sparte dans les premières années de la guerre du Péloponnèse en tablant sur sa puissance maritime et son commerce avec la conviction que cela équilibrait les forces.
Périclès mort, la guerre allait bientôt prouver qu’Athènes se trompait.
Jake Sullivan a assuré que "compétition ne signifie pas confrontation", à un moment où les relations entre les deux superpuissances sont extrêmement tendues, que ce soit à propos de la guerre en Ukraine, de Taïwan ou de sujets économiques.
On se croirait à Athènes en 431 av JC.