Belgo-Belge une fois.
Vaille que vaille, cet État a survécu malgré l’irrationalité de ses composants. Il aurait dû périr cent fois tant ses structures sont bancales, ses populations linguistiquement irréconciliables et ses personnels politiques trop nombreux pour être honnêtes.
Pourtant, il est là, brinquebalant et fumant de ses cheminées d’usine à gaz, avec un roi, six gouvernements et une propension à la procrastination des ministres.
Il doit sa survie à l’indifférence, à la mollesse des caractères et à l’intelligence passive dans la pratique élective, car, chose étonnante, ce pays se réclame de la démocratie, sans bien s’intéresser aux gens !
Les déplacements de voix d’un parti à l’autre ne tirent pas à conséquences. On les voit tour à tour et ensemble assurer une continuité libérale, dans la mouvance de l’Europe et de l’Amérique.
La Belgique profonde a pris son parti des crises économiques, de l’inflation et du détricotage des industries au profit des services, sans se poser de questions. Habitués au malheur, les gens courbent l’échine. Ceux qui le peuvent travaillent un peu plus. Les inactifs sont traqués. Les bourgeois les accusent de parasiter l’économie et de provoquer la chute des affaires, pas moins. C’est commode de taper sur des malheureux sans défense. Voilà qui les dispense à se justifier eux-mêmes.
L’Europe a apporté sa couverture dans laquelle le Belge s’enveloppe sans remarquer qu’elle a opté pour le néolibéralisme, qu’il déteste. Elle veut traiter avec le monde en mettant la population ouvrière à niveau avec les bas salaires de corporation à corporation. La référence incontournable est l’ouvrier chinois et combien coûte le produit qu’il fabrique.
Le Belge est fataliste. Dans son for intérieur, il ne croit pas ce que racontent les partis sur la conjoncture, les alliances. Il ne croit que ce qu’il voit. Il travaille pour que l’État lui prenne la moitié de ce qu‘il gagne, en taxes, impôt direct, prélèvements à la source et TVA. Il adorerait travailler au noir. Mais il hésite à cause de sa pension. Il craint d’être dénoncé.
On croit qu’il est patriote, qu’il ne transgresse pas les lois, et que c’est un être moral. Pas du tout, ce calculateur aime sa tranquillité. Il déteste raser les murailles et être sans cesse sur le qui-vive, comme ceux qui commettent des escroqueries sans être d’un gouvernement.
Ses compatriotes qui osent transgresser l’ordre bourgeois en tenant des propos « socialistes » à l’ancienne mode, sont pour lui des aventuriers.
Pour le reste, il sait bien qu’il y a la guerre en Europe et il n’ignore pas que ce qui arrive aux Ukrainiens, lui pend sous le nez. Son indolence le conduit à faire confiance au grand frère américain, sans grande illusion que l’Europe des 27 prenne le relais de l’OTAN et construise l’autodéfense des peuples dont elle a la charge. Une armée capable de tenir tête à Poutine et pas seulement, à l’Oncle Xi et même à Jo Biden, s’il le fallait, il en rêve comme aux Ninjas électroniques de ses jeux.
A bien considérer, le Belge est sans ambition, ce qui est une forme de sagesse, mais aussi de laisser-aller. Il tient à sa tranquillité qui est de plus en plus bouleversée par des nouveautés comme les multinationales, qui savent y faire pour secouer les classes travailleuses et les faire rendre davantage de cash.
Il pense que les libéraux ont raison de rogner sur les indemnités accordées aux chômeurs tant qu’il ne chôme pas lui-même. Son profil n’est pas bien déterminé, et pour cause, il n’a pas d’opinion. Ou plutôt il adopte l’opinion du baratineur qui passe. Le temps que celui-ci disparaisse au tournant de la rue, il a tout oublié. C’est un terrain vierge pour le suivant.
Le Belge est passé, jadis, sans coup férir des revendications des grands syndicats, jusqu’au paroxysme du Mouvement Populaire Wallon d’André Renard (la grande grève à l’hiver 60-61), à la désertification des locaux de réunion, en confondant une carte de membre du syndicat avec un abonnement à la STIL.
Il a oublié ce que pouvait faire un homme, un vrai : André Renard, que les partis libéraux accompagnèrent à sa dernière demeure la haine à la bouche, en souvenir de la trouille qu’ils eurent.
Aujourd’hui, le militant syndical est appointé. Il fait une carrière derrière des guichets, porte des dossiers du Tribunal du travail à des avocats spécialisés. Les derniers militants actifs qui bloquèrent une autoroute passent devant des juges, sans que l’opinion publique s’en inquiète.
Ce n’est pas tant le chant des sirènes d’un MR vantant les mérites du libéralisme en pleine crise économique, que les mille et une fantaisies audiovisuelle des plaisirs faciles qui ont détourné le Belge bon-enfant de toute velléité protestataire.
Une dernière chose encore. Quoique la situation ne soit pas la même dans les pays voisins – à vrai dire notre organisation relève d’une association de détraqués mentaux unique au monde – nous empruntons beaucoup du caractère latin des Français et des Italiens, à la seule différence que nous n’élevons plus la voix pour un oui ou un non.
Pour une raison indéfinie, nous passons même pour sages et travailleurs Il en va ainsi de l’opinion de ceux qui parlent de nous, sans avoir jamais mis les pieds rue du Marché-aux-herbes, ni mangé une moule chez Léon.