DE CURIEUX ENVAHISSEURS
En tombant par hasard sur un article Du Monde, je me suis remémoré le bruit dans les médias qu’avait fait l’émission radio en 1938 d’Orson Welles sur la Guerre des mondes. J’en étais resté à Mars Attacks ! un film américain réalisé par Tim Burton, dans les salles en 1996. C’était désopilant, avec le personnage du président américain joué par Jack Nicholson.
Basé sur le roman écrit par Georges Wells en 1898, la version de Welles n’est pas dans le registre comique, mais dans celui du tragique. L’envoyé spécial de CBS sur place sera balayé en direct par le rayon mortel des Martiens, après avoir diffusé les cris des premières victimes ! On est loin du comique de Tim Burton et de son complice Nicholson.
Le New York Times, dès le lendemain, constate « Les auditeurs paniqués prennent une fiction sur la guerre pour la réalité ». Ailleurs les journaux mentionnent qu’une prétendue invasion martienne plonge le pays dans la panique ! L’Américain moyen prend la blague de Wells au sérieux. Des auditeurs à l’annonce du débarquement martien tentent de fuir l’envahisseur !
Versatilité d’un public abusé, alors qu’en Allemagne un certain Adolf Hitler allait donner au Monde entier une autre version, qui sans rayon laser, allait faire des dizaines de millions de morts !
Ce qui me fait reprendre cet épisode déjà ancien pêché dans les journaux du temps, c’est qu’une récente étude signale qu’on n’a jamais trouvé la moindre trace de ces millions d’Américains paniqués par l’émission. Les quelques auditeurs revenant sur leur angoisse à propos de l’émission de Wells, cités par les journaux, ont pu laisser croire qu’ils étaient des milliers. Des universitaires s’en mêlent et extrapolent le nombre total des paniqués à un million deux cent mille. Mais ils réduiront ensuite ce chiffre, pour finalement écrire : « Ce programme n’a pas affecté plus d’une petite minorité des auditeurs. »
Trop tard. Le mal est fait. Cette panique légendaire qui n’a pas eu lieu restera dans l’histoire comme ce que les journaux ont voulu qu’elle soit.
C’est ainsi qu’au fil du temps perdurent des faits grossis ou réduits selon les intérêts de ceux qui disposent des organes commandant aux médias. Une fois installé, le mythe s’enrichit de la mythomanie des générations suivantes. « La foule envahit les églises. Les pillards se déchaînent. Des populations se soulèvent », écrit Maurice Bessy dans son Orson Welles (Seghers, 1963).
À considérer le moment radio de Wells, ce non-événement du point de vue historique devient une réalité ancienne, rien que parce qu’elle a été rapportée par le New York Times du 31 octobre 1938 de manière outrancière !
L’affaire révèle la représentation que les journalistes et les intellectuels se font du public. Crédulité populaire ou crédulité savante ? La plupart des auteurs n’ont jamais pris la peine de vérifier les faits qu’ils rapportaient. La plupart ont transposé par l’imagination apprise dans l’enseignement de l’Histoire, la pensée magique des autres peuples.
Il n’est pas dit que déjà en 1938, la célébration d’un sensationnel n’ait pas été grossi volontairement à seule fin de vendre plus d’exemplaires des journaux que d’habitude !
Les techniques ont évolué par la nature même du marketing économique libéral. Les politiques ne sont pas tombés de la dernière pluie. Ils se sont appropriés des techniques du bourrage de crâne. De la naïveté des premiers à avoir utilisé le superlatif pour décrire l’ordinaire, est advenue la rouerie et la tromperie volontaire des milieux du pouvoir.
Le monde idéal qui se construit dans le système libéral poursuivi par Georges-Louis Bouchez du petit univers des Michel, est de ceux-là. Aucune situation réelle n’est encore ressortie des traité d’économie que cet individu nous assène à ses nombreux interviews complaisants.
Il n’est pas le seul dans le domaine politique, bien entendu ; mais, il est un des rares à forcer le trait si bien qu’il donne l’impression qu’en-dehors de ce qu’il préconise « pour le bonheur de tous » ne peut exister que l’apocalypse !
C’est ce qu’a pu dénoncer Crucke avant de se faire censurer par son parti et par les journaux.
Pourquoi l’émission de 38 d’Orson Wells est-elle l’avènement d’une nouveauté par rapport à ce qui se faisait avant ? C’est depuis cette période que la presse est devenue un outil coûteux hors de portée de tous ceux qui depuis la belle époque ont produit des centaines de titres dont certains disparurent faute d’exemplaires vendus dès la première semaine de leur parution.
N’importe qui, jusque là pouvait éditer à ses risques et périls soit des journaux d’opinion, soit des feuilles pas sérieuses ou sous forme de brûlots stipendiant une époque trouble où sombrerait l’Europe de toutes les illusions.