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LE BONHEUR DES GENS.
Il faut comprendre les gens. La plupart bossent comme des dingues pour juste avoir de quoi se loger et se nourrir. Alors, ils se posent des questions sur ce qu’on leur raconte depuis toujours, à savoir que le pays se modernise et, malgré les crises financières, que la population s’enrichit.
Ils y croient encore, à défaut de le voir concrètement dans le frigo et dans la qualité du toit qui les abrite. Ils se disent qu’il faut être patient et que tout vient à son heure, même si le temps présent est difficile. Ils sont gentils, les gens !
Bien sûr, ils n’ont pas eu le temps de vérifier si tout cela était vrai, si les libéraux et les socialistes ne leur avaient pas raconté des craques. Ils ont quand même appris à se méfier par l’expérience de la TVA, des retenues à la source et de la petite note complémentaire des impôts à la fin de l’année. Il n’est pas possible malgré le prélèvement mensuel, que leur petit salaire doive encore quelques piécettes aux happe-chairs de l’État à la fin de l’année, quand ils n’ont presque plus rien et qu’il faut acheter un arbre de noël et des cadeaux aux enfants.
Il faut bien que l’État vive de quelque chose. Savoir si c’est trop demander aux uns et pas assez aux autres n’entre pas encore dans leur esprit. Ils sont honnêtes, les gens. Ils croient naïvement que les autres du dessus, le sont aussi.
Il y a bien une hausse brutale des prix, ils ne comprennent pas bien pourquoi du jour au lendemain les prix changent, alors que ce qu’ils achètent dans les rayons provient le plus souvent de stocks achetés par les grandes surfaces des mois à l’avance.
On leur dit, c’est à cause des Russes qui font des ravages en Ukraine. La guerre, ils comprennent. Pourtant les bananes ne poussent pas dans le Donbass et le cacaoyer ne se plante pas à Kiev.
Ouais ! bon ! disent ceux qui savent en lâchant quelques mots afin qu’on leur fiche la paix, à la foule impatiente. La conjoncture est mauvaise, mais c’était prévu par l’Europe. Nous pouvons craindre une inflation, il suffirait de remonter les taux directeurs, si nous n’étions pas aussi dans une stagflation… Les gens écarquillent les yeux, les autres passent en haussant les épaules. Il faudra bosser un peu plus si nous voulons nous chauffer cet hiver. Les gens courbent le dos et cherchent un boulot après journée. C’est un mauvais moment à passer ils ont dit…
Comment être à la fois au boulot et lire dans les journaux spécialisés les contradictions du système, s’intéresser à la culture et aux philosophes presque toujours en pétard avec les bonimenteurs libéraux, comprendre les termes techniques de l’économie de marcher ?
Les soirées où enfin on peut souffler après le repas, qui a encore le courage de se plonger dans des bouquins, de lire des journaux, de faire le tri entre ceux qui parlent juste et les autres qui parlent faux, entre l’endormeur des salons André Comte-Sponville et l’attentif aux exactions et bévues des cadres bourgeois, Michel Onfray ?

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Les gens ont encore en tête les remarques acides d’un contremaître, la pièce à finir laissée sur l’établi, la commande à livrer demain à la première heure.
Pour oublier une heure ou deux ce que l’on fait et où on est, on zappe à la télé d’émission rigolote en émission marrante, d’une tête d’un humoriste à l’autre. On plonge tête la première dans les paillettes, dans le léger. C’est tellement la fête dans les étranges lucarnes, alors qu’on est dans l’ennui personnel ! On finit par s’assoupir devant Cyril Hanouna, gagné par la fatigue d’une longue journée de travail. On est réveillé par le « tu dors ? » de l’autre occupant du sofa. Et on s’en va dormir en grommelant.
Les gros malins, les qualités supérieures, les forts en thème sont dénommés les fins barreurs de l’esquif Belgica. Ils sont là parce qu’ils le valent bien. C’est l’élite. Les gens, pour eux sont de grands enfants qui ont besoin de guides patriotes, libéraux jusqu’au bout du portefeuille, tout à fait ce qu’ils sont. Ils s’admirent, se trouvent aux premières places parce que c’est leur destinée. Ils cultivent la distance entre ceux qui disent bien et ceux qui tâtonnent dans le choix des temps des quelques verbes qu’ils connaissent. Ils se feraient tuer plutôt que de prétendre qu’ils ont du mépris pour les gens. Non, cent fois non. Ce faisant, ils les raillent, choisissent exprès les mots qu’ils ne comprendront pas. Ils s’étonnent avec un ravissement intérieur de passer si facilement pour savant, ayant compris que l’appréciation flatteuse qu’ils voient dans les yeux des gens simples, leur était destinée.
Ils n’ont pas cette intelligence tout court qu’ont les gens, cette expérience d’une vie difficile où il faut à Figaro cent fois plus de savoir-faire et d’intelligence pour vivre une heure que le comte, son maître, pour vivre un mois. Leur intelligence est livresque. Ils sont incapables d’appliquer leur théorie dans la pratique. Ce sont des êtres incomplets, inaptes à occuper les fonctions que les élections leur permettent et qu’ils se disputent entre eux.
La preuve, ils sont là pour faire le bonheur des gens et rien d’autre. C’est justement ce qu’ils sont incapables de faire. Ce sont des usurpateurs, des malfaisants, pour la plupart bivouaquant depuis des années à leur niveau d’incompétence.

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