L’annexion.
Quand on a loupé « un coup », un chef de la trempe de Poutine ne peut pas revenir en arrière. Il faut donc trouver d’autres objectifs afin de persuader les Russes qu’il touche au but assigné dès le début.
Pour ceux qui d’entre ses compatriotes ne le croient pas et veulent la paix en élevant la voix, la facture est de dix ans de prison.
Dans ces conditions et malgré quelques irréductibles, tout le monde est d’accord.
Il fallait cependant envelopper le discours de ce vendredi d’un certain apparat, dans la grande salle du trône du Kremlin, afin d’en jeter plein la vue à un Occident « décadent » et pour le grand plaisir de la contemplation des fastes et des ors, des gens de la rue de Moscou à Saint-Pétersbourg.
Cette nouvelle annexion inspirée des Sudètes rappelle qu’il n’est pas le premier dans la version des Anschluss et autres gamineries. Un prédécesseur plus glorieux que lui dans son rude métier, même mort, tient toujours les devants de la scène depuis 1945.
Et c’est cela le singulier, Vladimir Poutine a-t-il l’étoffe pour l’égaler, voire le dépasser ? Peut-il aller plus loin, monter d’un cran dans son forcing au palmarès de grand leader tout terrain, utiliser enfin la bombe qui fait mal, même cent années plus tard, montrer qu’il a surpassé la période artisanale des V1 et des V2 d’Adolf ?
Le « oui » de la réponse pouvait tenir dans les têtes de la foule triée sur le volet, bien patriote et médaillée. Composée d’un archimandrite, d’un grand mufti et peut-être de quelques cénobites chargés d’attirer l’œil gourmand de la télévision de Moscou, elle semblait comme énamourée du chef. Debout en un quart de seconde sur un battement de cils de Poutine et rassise aussi vite sur un borborygme du même, présageant la suite du discours, l’assistance avait la gravité heureuse des grands moments partagés. L’Occident en reste sur le flanc, blessé inquiet, devant cette nomenklatura enthousiastes aux ordres.
Ainsi se sacralisa l’acte d’annexion des quatre régions ukrainiennes ayant « massivement voté oui » au référendum. Sur papier vert de l’espérance, ce dernier avait été distribué dans les chaumières par des militaires du pays voisin armés jusqu’aux dents. Le résultat trouve son épilogue au Kremlin, dans un ballet d’ouvreurs de portes en costume d’officier du temps du général Dourakine résistant à Napoléon. Les quatre hauts dirigeants des Régions annexées, signataires en costume de ville sortis tout chics des décombres et des ruines, complètent la distribution pour la signature officielle de l’annexion. Proposition, discussion, distribution des bulletins et leur remplissage diligentés sur moins d’une semaine, effectués par une armée d’occupation, sur un territoire conquis, expliqué par Poutine aux Occidentaux laissent ceux-ci absents, interdits mais attentifs.
C’est ce qui s’appelle une vocation expresse et une théâtralisation surjouée d’un événement, dont on n’a pas fini de parler. Du grand art évidemment, destiné uniquement à nourrir la fausse idiotie nappant l’intelligence aigüe d’un peuple russe résigné, plutôt que « faire les méchants yeux » à Jo Biden et à Ursula von der Leyen.
Si Poutine croit vraiment que l’Ouest veut faire de la Russie une « colonie », alors là, vraiment, on peut s’inquiéter pour la suite. Se voyant libérateur des peuples opprimés, vu ainsi il est dangereux.
Dans son discours furieux, inexact et de pur propagande, le sommet a été atteint par une phrase d’anthologie « Ils ne veulent pas nous voir (les Occidentaux) comme une société libre, ils veulent nous voir comme une masse d’esclaves ». Si ce haut moment pouvait par magie toucher les dizaines de prisonniers politiques de ce Régime avide de liberté, on aurait pu entendre le bruit des gamelles frappant la grille des prisons des dizaines de milliers de prisonniers politiques disséminés à travers le pays, de Vladivostok à Moscou.
La suite ? Elle va de soi. Poutine, bon prince veut bien négocier à condition que l’Ukraine cède un quart de son territoire à son agresseur. Du ragoût pour Zelensky, on le sent apte à pousser de plus belle son offensive, titillé par cette provocation, afin de bouter l’envahisseur dehors, en ne tenant pas compte des Régions subitement devenues russes à 100 %, par la grâce de l’autre.
Vladimir poussera-t-il sur le bouton rouge, puisque la mère patrie aurait été touchée au cœur par le viol du territoire sacré par des forces barbares ? Sera-t-il abattu avant par un opposant effrayé des conséquences ? S’enfuira-t-il sans tambour ni trompette ?
L’embêtant, pour un dictateur, il l’est à vie, puisqu’il s’est nommé lui-même ne demandant l’avis des autres qu’après sa nomination. Il ne peut donc pas fuir.
L’ONU devrait pouvoir récupérer les dictateurs et leur offrir un havre de paix en cas de renoncement.
Il est vraisemblable que Poutine ne raisonne pas ainsi.
On attend la suite avec impatience.