LE CHIFFON ROUGE !
On se trouve à la veille de quelque chose de vague, à la fois omniprésente et insaisissable, mais dont on sait qu’elle se révélera un jour à nous dans sa pleine lumière. Cela peut être une chose informe dont on ne perçoit pas bien les contours… un fantôme… une illusion ?
L’effet saisissant est le résultat d’une longue flânerie d’un peuple qui passe malgré tout de l’inculture à la culture ; progresse contre vents et marées envers et contre tout, malgré l’avis des pessimistes qui voient dans les machines « intelligentes » et l’électronique, une manière qu’ont les bourgeois de nous décerveler !
Non, mille fois non, nous ne sommes pas fichus et serviles à la fois, broyés par un système qu’on nous impose contre notre volonté. Nous avons en nous le pouvoir de dépasser les lois de l’économie qui tombent si justement dans les visées de nos oppresseurs que cela en devient gênant pour eux et clair pour nous.
L’incompréhension est totale et significative entre ce qu’ils nous disent et ce que nous savons.
Il y a moins d’une année, nous travaillions comme aujourd’hui de la même manière. Déjà, ce n’était pas la gloire, mais nous subsistions. Nous nous en tirions mal, mais nous nous en tirions. Nous étions logés, la famille mangeait à sa faim et certains avec de modestes salaires, usaient d’une voiture, même si celle-ci était d’occasion. Malgré tout, on pouvait rêver de vacances et faire des projets.
A la fin de 2022, le scénario est bouleversé par on ne sait quelle dérapage entre eux, les puissants !
Nous travaillons de façon identique à l’année dernière. On nous dit même que notre productivité augmente encore. Cependant de façon inexpliquée ou plutôt trop bien expliquée par les maîtres du système, voilà que nos salaires cependant légèrement augmentés ne suffisent plus ! L’eau, le gaz, l’électricité, les carburants, toujours non-épuisés dans la nature, sont hors de prix et quasiment inaccessibles pour une tranche de plus en plus considérable de la population !
Certes, le chômage ne diminue pas et les vieux dépassent largement l’âge de la retraite avant de sortir définitivement des comptes de la Tour des pensions. Mais, est-ce une raison suffisante pour que nous ne puissions plus vivre aujourd’hui, comme nous vivions hier ?
Nous nous attendions, à force d’entendre discourir sur l’augmentation des températures, les gaz délétères, ce que l’industrie envoie au-dessus de nous, la richesse minérale qui disparaît dans les bennes d’énormes camions, etc. qu’à force de produire sans discernement nous allions à la catastrophe. Nous en étions conscients et nous nous attendions à des modifications de notre mode de vie, peut-être des manques allaient survenir et nous étions prêts à en subir les conséquences, à les assumer ; mais jamais, au grand jamais, nous ne nous attendions à ce brutal enchérissement de tout ce qui fait notre nécessaire, au point de ne plus pouvoir se chauffer raisonnablement, ni se nourrir, ni se loger…
Cela paraissait tellement déraisonnable que certains sont encore à se demander ce qu’il leur arrive
L’humain poussé par la nécessité a toujours jeté ses dernières forces en quête d’une survie en toutes circonstances, usé de son intelligence soudain aux aguets pour se tirer du pire, forcé par un instinct de conservation dans la nécessité de manger, d’avoir chaud l’hiver et d’élever ses enfants dans la décence d’un inconfort accepté à défaut, en attendant le vrai bien-être.
Il ne comprend pas qu’au-dessus de lui, tout se passe comme avant, que les armoires sont pleines, que l’éclairage est partout dans une chaleur ambiante et que sortent des beaux quartiers des gens insouciants et en bonne santé. De loin, il entend les rires de leurs enfants et ça lui fait mal pour les siens ! il n’éprouve pas de jalousie, mais de l’indignation !
Ce qu’il a retenu des gazettes et des beaux discours, c’est la distorsion entre l’offre et la demande à partir du moment où ceux qui détiennent l’offre la conservent en espérant que cette raréfaction qui colle aux guerres et aux calamités naturelles, leur fera de beaux profits supplémentaires.
C’est alors que cette chose informe, vague, cependant bien présente, s’offre entièrement à lui, en pleine lumière, par terre au milieu de la rue !... C’est une loque rouge, pas très propre, tâchée d’huile et peut-être d’un sang qui se confond avec la couleur.
L’Homme de 2022 n’a pas vu les Temps modernes de Charlie Chaplin. Il ne sait rien des luttes antérieures pour le pain, pour le chardon, pour une vie décente produit de son labeur.
Il est seul dans la rue, ce chiffon rouge à la main. Il a la rage au cœur, toute l’injustice d’un monde qui l’exploite et l’ignore à la fois le prend aux tripes. Il avance dans la rue, par instinct, par besoin d’aller jusqu’au bout comme un animal blessé. Que peut-il faire d’autre ? Il ne veut pas voir ses enfants mourir de faim. Il faut qu’il fasse quelque chose.
Voilà que soudain, d’autres Hommes se joignent à lui, eux aussi tenant un chiffon rouge, pas propre et souillé de sang.
Les beaux quartiers paniquent. Un rassemblement des polices se fait à la hâte. Comme les chiffons rouges sont partout, l’Ordre ne sait pas par quel meurtre de pauvre commencer. Il fait tirer au hasard. Des Hommes tombent, mais le flot ne tarit pas, d’autres prennent sa place. Les rangs de la police se clairsement. Eux aussi se reconnaissent dans la foule qui s’avance… Ils passent de l’autre côté où ont toujours vécu leur famille.
C’est le commencement d’un ordre qui se fonde, sur un autre qui s’effondre.